Au Burkina Faso, au Mali, au Niger, les membres de la communauté peule sont de plus en plus victimes de violences de la part de leurs concitoyens. La recrudescence des attaques perpétrées par des groupes armés dans les communes rurales du Sahel a pour effet de diviser les communautés.

Au Burkina Faso, au Mali, au Nigernotamment, les membres de la communauté peule sont de plus en plus victimes de stigmatisation et même de violences de la part de leurs concitoyens. Explication d’un amalgame dangereux qui inquiète jusqu’aux Nations unies.

Le sociologue décrypte les mécanismes de la stigmatisation de certaines communautés et livre des pistes de réflexion pour en sortir.

Pour commencer, une précision : il n’y a pas que les Peuls qui sont victimes de stigmatisation ou d’amalgame dans le Sahel. Plusieurs des personnes contactées nous l’ont répété : la violence n’épargne aucune communauté.

Au Mali, les Touaregs du Nord, par exemple, subissent une stigmatisation comparable aux Peuls, les deux communautés étant souvent assimilées aux groupes djihadistes.

Ceci dit, les préjugés contre les Peuls ne sont pas nouveaux puisqu’ils prennent leurs racines dans des conflits fonciers liés à l’accès à l’eau, aux pâturages et aux rivalités entre les éleveurs transhumants que sont traditionnellement les Peuls et les autres communautés d’agriculteurs.

Amalgames et préjudices

Mais la violence dirigée contre les Peuls est une réalité au quotidien, comme en témoigne Daouda Diallo, fondateur du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC), à Dedougou, dans la Boucle du Mouhoun, une région de l’ouest du Burkina Faso :

“Sur les routes, quand c’est un Peul, souvent il est plus fouillé que les autres, explique Daouda Diallo, par ailleurs lauréat 2022 du Prix Martin Ennals pour les droits de l’Homme. “Deuxième chose, on les assimile aux terroristes. Donc certains appellent à les massacrer, tuer, nettoyer complètement. Ça c’est un aspect particulièrement grave de la stigmatisation. Et troisièmement, au niveau de l’administration, beaucoup ont du mal à avoir des papiers.”

Mauvaise représentativité

Au Mali aussi, depuis 2012 surtout, la politique institutionnelle a renforcé les inégalités entre les différents groupes de la société, selon le sociologue Mohamed Amara, qui déclare : “Cette stigmatisation se traduit par une invisibilisation de ces communautés dans les secteurs du pouvoir et dans certains corps de l’administration publique comme l’armée.”

Milices d’autodéfense

La pauvreté, l’exclusion et les violences infligées par les forces de l’ordre ou certaines milices d’autodéfense au nom de la lutte antiterroriste alimentent le ressentiment.

“Surtout avec l’implication de civils armés dans le conflit”, estime Daouda Diallo qui poursuit : “en plus des Kolweogo, il y a les Dozos et, surtout, les civils que l’Etat a recrutés, ceux qu’on appelle communément les Volontaires pour la défense de la patrie. Aujourd’hui, ils font autre chose que de la lutte contre les terroristes : ils pillent le bétail, ils volent leurs biens et leurs terres. Il n’y a que les villages peuls qui sont complètement rasés. Cela pousse certains membres de ces communautés vers le terrorisme, par souci de vengeance, par soif de justice ou pour se mettre à l’abri.”

Les ressorts des mouvements djihadistes

Au Mali, deux prédicateurs radicaux célèbres sont eux-mêmes issus de la communauté peule : Amadou Kouffa et Malam Dicko. Ils ont joué sur leurs liens culturels avec les Peuls pour recruter, notamment des jeunes.

Ces islamistes radicaux profitent à la fois de la pauvreté de leurs cibles dans le contexte de la crise du pastoralisme et de leur frustration (sociale, économique). Ils dénigrent les pouvoirs en place tout en mythifiant le rôle joué par les Peuls et les toucouleurs lors de l’islamisation massive de l’Afrique de l’Ouest aux XVIIIe et XIXe siècles.

L’embrigadement fonctionne aussi en s’appuyant sur des écoles coraniques hors de contrôle des pouvoirs publics et il conduit à une radicalisation de certains Peuls… et cela continue d’alimenter les préjugés contre l’ensemble de la communauté.

Briser le cercle de la violence

Pour briser ce cercle vicieux, Daouda Diallo et Mohamed Amara préconisent d’abord de dénoncer les violations de droits humains, de lutter contre l’impunité, mais aussi d’organiser la prévention.

Selon eux, la cohésion sociale ne pourra être restaurée qu’en ouvrant le dialogue avec les populations concernées : les leaders communautaires, les responsables locaux ou encore la société civile, afin de déconstruire les préjugés et d’écouter les besoins des populations.

Daouda Diallo recommande par exemple de légiférer pour réparer les affres de l’agrobusiness et garantir l’accès aux couloirs de transhumances.

Cohésion sociale et tolérance

Tous les deux insistent aussi sur l’urgence de restaurer la présence de l’Etat sur l’ensemble du territoire national. Mohamed Amara déclare ainsi qu'”il ne s’agit pas seulement de faire la guerre, de gagner une bataille à travers ce que les Maliens appellent “la montée en puissance de l’armée” mais il s’agit aussi par le retour de l’administration locale, que les écoles soient réouvertes, qu’il y ait un vrai dialogue.”

Cette stratégie, qui ne peut être appliquée qu’en coopération avec les pays voisins et des partenaires internationaux du point de vue de Mohamed Amara, le sociologue la résume ainsi : “Il faut miser sur le développement pour changer la donne, miser sur le développement et le dialogue pour sortir de l’intolérance.”

Auteur Sandrine Blanchard

 

Source: ndarinfo