Dans un entretien lu pour vous sur le site rue89.com du nouvel observateur, un proche d’Iyad ag-Ghali déclare que la guerre ne fait que commencer au Mali avec la libération des régions du Nord. Si cette affirmation, au regard de la réalité actuelle du terrain, ne saurait inquiéter ; elle édifie néanmoins sur les véritables aspirations d’Iyad Ag Ghali, ses accointances au tout début de la crise du Nord avec certains leaders religieux, l’immense défi qui attend le pays dans le cadre de la stabilisation totale et pérenne des régions libérées et surtout en ce qui concerne l’instrumentalisation des consciences qu’effectuent certains groupes tels que le Mnla et Ansardine pour camoufler leurs forfaits. Laquelle instrumentalisation, basée sur le mensonge et la victimisation, semble malheureusement séduire certains médias occidentaux. Les révélations qui en ressortent sont aussi accablantes qu’interpellatrices. Cette interview, dont nous vous proposons l’intégralité, est réalisée par Pierre Piccinin.iyad ag ghaly ansar dine

Alors que les troupes françaises sont aux portes de Kidal et que l’aviation bombarde les montagnes du nord, refuge des groupes djihadistes, nous avons rencontré à Bamako un proche de Iyad ag-Ghaly, le chef d’Ansar Dine, qui décrypte la personnalité du leader islamiste touareg. Selon lui, la guerre n’est pas finie avec la reprise des villes du nord.
(De Bamako) La personnalité d’Iyad ag-Ghaly, chef d’Ansar Dine et principal meneur de l’insurrection islamiste qui ébranle le Mali depuis janvier 2012, constitue probablement l’énigme la plus complexe de ce conflit, qui ne saurait être résumé à une guerre contre le terrorisme islamiste. La soudaine offensive venue du nord contre le gouvernement de Bamako (dominé par les Maliens du sud, les Bambaras) trouve son origine dans la marginalisation dont les tribus touarègues ont fait l’objet depuis l’indépendance du pays en 1960 : ces dernières, qui peuplent les deux-tiers sahariens du Mali (l’Azawad : Tombouctou, Gao, Kidal et le désert), au nord de la boucle du fleuve Niger, s’étaient insurgées à plusieurs reprises déjà et dès 1963. La grande révolte de 1990 avait certes abouti à la signature du Pacte national, qui assurait aux Touaregs leur intégration, mais le traité ne fut suivi que de peu d’effets. Les tentions restaient donc vives entre Bamako et le Mouvement national de Libération de l’Azawad (MNLA), organisation touarègue indépendantiste.
Une des grandes figures de la révolte de 1990, Iyad ag-Ghaly, à l’époque chef du Mouvement populaire de l’Azawad (MPA), est aujourd’hui à la tête d’Ansar Dine (la Défense de la Religion), mouvement à l’origine de la campagne par laquelle les islamistes s’étaient rendus maîtres du nord du Mali, avant l’intervention de l’armée française, qui, avec la récente prise de la ville de Gao, progresse en direction de Tombouctou, repoussant les rebelles vers le désert et la région de Kidal, fief touareg dont est originaire Iyad ag-Ghaly. C’est en effet Iyad ag-Ghaly qui a emmené derrière lui une partie des forces du MNLA et a été rejoint par des mouvements islamistes étrangers opérant dans le Sahara, à savoir Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Pour appréhender à la fois le personnage central de l’insurrection du nord du Mali et les ressorts de ce soulèvement majoritairement touareg, qui associe aujourd’hui les anciennes revendications indépendantistes et une dimension religieuse fondamentaliste inédite, nous avons pu rencontrer Mety ag-Mohamed Rissa, ancien porte-parole du MPA à Bamako, membre de la Commission du suivi du Pacte national et compagnon d’armes, ami intime, d’Iyad ag-Ghaly.
Pierre Piccinin : Vous êtes un ami de toujours du chef d’Ansardine. Vous avez combattu à ses côtés. Il est votre ami aujourd’hui encore. Iyad ag-Ghaly a été la figure révolutionnaire de l’insurrection touarègue de 1990. Aujourd’hui, on le retrouve islamiste… Que lui est-il arrivé ? Bref, qui est-il ? 
Mety ag-Mohamed Rissa : Je connais Iyad depuis très longtemps. Tout le monde le sait ; inutile de le cacher… Iyad est originaire du village d’Abeybara, dans la region de Kidal. Il a une cinquantaine d’années. C’est quelqu’un, quand nous étions jeunes, qui faisait rarement la prière. Mais, dans les années qui ont suivi la signature du Pacte national, vers 1994 ou 1995, je l’ai vu s’intéresser de plus en plus à la religion, d’abord, puis plus spécifiquement à la Dogha (le Salafisme). Il passait des jours, puis des mois, dans sa chambre, à lire le Coran. Ensuite, il est allé à la mosquée. Il y passait tout son temps…
Iyad a-t-il fait seul ce cheminement ? 
Non. Il rencontrait des gens, mais je ne sais pas qui exactement… Il s’est rendu au Pakistan, pour y étudier la religion.
Il y est allé seul ?
Au début, oui, je crois. Mais, plus tard, il y a envoyé des jeunes de chez nous. Pour le moment, nous avons cinq jeunes qui étudient au Pakistan. Iyad est très respecté à Kidal. Il a entraîné beaucoup de gens, qu’il a envoyés au Pakistan et en Afghanistan, pour qu’ils reçoivent une formation religieuse. Il a contribué, ainsi, à étendre le mouvement islamiste, la Dogha, dans tout le nord du Mali. Je suppose qu’il a dû donner sa parole à des extrémistes, sans en mesurer les conséquences. Mais il est de ceux qui meurent pour la parole donnée.
Il avait des contacts avec Al-Qaïda ? 
Oui, mais sans en faire partie. Il a toujours désapprouvé les méthodes d’AQMI. Un Touareg n’enlève pas quelqu’un pour le vendre. C’est un déshonneur. En 2003, Iyad a d’ailleurs participé à la libération des otages allemands que détenait le GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat). Mais il ne s’est pas opposé au développement d’AQMI dans le Sahara : AQMI s’est progressivement implantée et a infiltré la population touarègue. Des djihadistes se sont mariés avec nos femmes ; ils ont intégré nos familles, avec l’accord d’Iyad qui les a couverts de sa notoriété.
Et le gouvernement malien n’a pas réagi ? 
Si, bien sûr. Le gouvernement l’a envoyé comme diplomate en Arabie saoudite, dès qu’il a compris qu’il devenait dangereux, comme activiste. Mais, l’Arabie saoudite, c’est le cœur d’Al-Qaïda. C’est de là que venait Ben Laden. Iyad y a fait des contacts et a commencé à militer. Il est donc devenu persona non grata ; et ils l’ont renvoyé au Mali. Et, de retour au Mali…Ils n’ont pas osé lui faire des problèmes. On l’a laissé tranquille, ici, à Bamako ; il a été mis sur une voie de garage, mais avec son traitement d’agent consulaire. Or, pendant ce temps, il préparait la révolte. Je l’ai revu récemment ; j’étais allé à Kidal pour voir ma vieille maman. Elle vit encore sous la tente, comme une vraie Touaregue.
Et que vous a-t-il dit ? 
Nous nous sommes rencontrés seuls. Il était dépité. Il m’a dit qu’il voulait installer au Mali l’Islam total. L’indépendance des Touaregs, pour lui, ça n’a plus d’importance. Je lui ai répondu : « Mais, on a déjà l’islam au Mali. » Il a dit : « Non. L’Islam est un tout. Tu ne peux pas faire un Islam partiel. Par exemple : si tu surprends un voleur, tu dois lui couper la main. C’est écrit dans le Coran. Votre Islam est incomplet. » Nous étions face à face. Il n’y avait personne d’autre. J’ai su qu’il était sincère et j’ai compris qu’il pensait ce qu’il me disait. Oui, il pense ça !
Il est donc devenu islamiste ? 
Oui, c’est certain. Comment ? Je ne sais pas. Chez nous, quand on atteint un certain âge, on se tourne vers Dieu. C’est normal. Mais le Touareg ne devient pas salafiste.
C’est à ce moment-là qu’il a décidé de faire le jihad ? 
Il va se battre pour ça, jusqu’au bout. « Et les Chrétiens ? », lui ai-je demandé. « Et les animistes ? Tu en feras quoi ? » Il m’a répondu : « Non ! Il faut que le Mali soit un pays musulman. »
Si on en croit les communiqués de l’armée française, il est en train de perdre la guerre…
Ne croyez pas cela ! L’armée française peut récupérer les villes. Ce n’est rien. C’est facile. D’ailleurs, Iyad n’y combat pas ; il s’en retire ; il ne s’enfuit pas ! Mais les Français ne pourront pas éradiquer le salafisme dans les zones désertiques, ouvertes, dans nos montagnes. Les grottes de l’Adrar (massif) des Iforas sont imprenables. Et il est aidé par AQMI, qui s’est greffée à Ansar ad-Dine. Les combattants d’AQMI, depuis vingt ans, ils connaissent bien le Sahara. Pas les Français.
De quel armement Iyad dispose-t-il ? Il est appuyé par les mercenaires touaregs de retour de Libye…
En effet ! Les Touaregs qui ont servi Kadhafi en Libye, après sa chute, sont revenus au Mali, avec un armement très sophistiqué, des missiles, des batteries anti-aériennes…Un armement qu’ils n’ont pas encore utilisé…C’étaient des fils de bergers, peu éduqués, comme moi à l’époque. Ils ont été chassés du Mali par la sècheresse de 1973. Ils sont partis en Libye pour y chercher du travail. Si les Touaregs se sont si souvent révoltés, ce n’est pas pour l’indépendance ; ça ne les intéresse pas vraiment. C’est parce qu’ils sont victimes d’une ségrégation.
Et que sont-ils devenus, en Libye ? 
Ils ont été recrutés par l’armée libyenne. L’armée les a fascinés, en leur donnant un uniforme. C’était le sommet de la réussite, pour eux. Ils voyaient les militaires maliens, qui entraient dans nos maisons et faisaient ce qu’ils voulaient, comme ce qu’il y avait de mieux socialement. Iyad était avec eux. Kadhafi leur a construit de magnifiques casernes, avec l’eau courante et l’électricité. Ils ont eu des enfants.
Et Kadhafi les a utilisés. Au Liban, en 1982. Au Tchad, pour la Bande d’Aouzou, en 1987. Et Kadhafi leur a promis de les aider pour l’indépendance de l’Azawad. En 1990, ils ont été envoyés au Mali, soutenus par Kadhafi.
Et que s’est-il passé après la mort de Mouammar Kadhafi ?
C’est une armée qui est revenue au Mali ! Pas des individus… Les Touaregs qui sont revenus de Libye ont renforcé le MNLA. Et Bamako a envoyé Iyad pour connaître leurs intentions et négocier avec eux. Mais ils ont accusé Iyad de traitrise, eux, qu’Iyad avait formés ! Ils ont dit qu’il avait trahi la cause indépendantiste, en acceptant le Pacte national. Il s’est senti humilié. C’est alors qu’il crée Ansardine. Oui, parce qu’il comprend que, s’il ne réagit pas tout de suite, il sera mort politiquement. Il va emmener avec lui beaucoup de gens du MNLA.
Était-ce dans ses intentions de lancer une insurrection ? 
Oui, mais l’arrivée des « Libyens » a précipité son projet. Il voulait faire la guerre. Mais plus tard. Mais, s’il voulait rester le chef, il devait lancer le mouvement avant que les « Libyens » le fassent avec le MNLA. La plupart l’ont suivi. Mais d’autres, non. Mais le MNLA a quand même accepté de se battre à ses côtés. Iyad a complété son armée avec des combattants d’AQMI, du MUJAO et de Boko Haram (mouvement islamiste du Nigeria). En janvier 2012, il a attaqué l’armée malienne…
Comment voyez-vous la fin du conflit ? 
Il n’y aura pas de fin. Il y a quelques jours, une partie d’Ansardine a fait sécession. Ils ont créé le Mouvement islamique de l’Azawad. Ils ont demandé aux Français de négocier, parce qu’ils ont peur de la Communauté internationale : ils sont conscients qu’ils sont trop faibles pour faire face. Mais Iyad se bat pour son Dieu ; il ne cèdera pas. Mais ceux qui le suivent se battent pour autre chose. Le peuple touareg est un peuple particulier, dont la vie ne ressemble à celle d’aucun autre peuple. Nous avons choisi de vivre dans le désert, dans les grands espaces, pour être libres. Nous avons renoncé à tout pour être libres. Mais les démocraties africaines ont été mal coupées par leur tailleur. On a importé des modèles qui ne nous conviennent pas. Notre robe démocratique est mal coupée. Elle nous empêche d’être libres. Notre indépendance, nous ne l’aurons jamais. Le monde entier est contre cela. Mais que nous ayons au moins notre intégration ! Je suis Malien ! Et, pourtant, pour les Maliens, je suis un étranger ! Voyez ce qui se passe aujourd’hui : les Touaregs qui fuient les bombardements français, ils ne se réfugient pas au sud du pays, non ! Ils vont dans des camps de réfugiés au Burkina Faso, au Niger, en Mauritanie…Mais laissera-t-on ces gens revenir au Mali ? Et l’armée malienne suit la conquête française et nettoie les villes… Les Touaregs ont peur et s’en vont. C’est comme ça que la France veut régler la question touarègue ? On est à la limite de l’épuration ethnique !
Cela veut-il dire que la rébellion va perdurer ?
Bien sûr qu’elle va perdurer ! C’est maintenant que la guerre va commencer ! Dans nos montagnes ! À Kidal ! Ce sera comme en Afghanistan… Si les Touaregs cèdent maintenant, c’est fini pour nous.
Source:
rue89.com du nouvel observateur