DÉCISIONS. Au-delà de l’avenir de la transition au Mali, la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest, réunie à Accra, ce dimanche joue sa crédibilité politique.

abord une rencontre des chefs d’État de l’Uémoa, puis un sommet extraordinaire avec les dirigeants de la Cedeao. Accra, la capitale du Ghana, est le théâtre, ce dimanche 9 janvier, de deux rendez-vous décisifs pour l’avenir du Mali. Puisque d’âpres négociations sont en cours concernant la demande de la junte malienne pour une extension de la durée de la transition à cinq ans au lieu des dix-huit mois convenus. Et il n’est pas vraiment question de longs débats, car les dirigeants ouest-africains tant de l’Uémoa, l’institution regroupant les huit pays ayant en commun le franc CFA, que ceux de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest souhaitent frapper fort. Pour l’organisation dont la crédibilité est en jeu, il s’agit de défendre ses principes fondamentaux de gouvernance, de stopper la contagion du fait accompli et de contenir l’instabilité régionale. En effet, outre le cas du Mali, la Guinée est également au cœur de leurs préoccupations, d’autant plus qu’aucune garantie n’a été jusque-là donnée sur la transition en cours dans ce pays.

 

Vers un gel d’avoirs financiers

Auteurs de deux coups d’État successifs en août 2020 et mai 2021, les militaires au pouvoir au Mali s’étaient engagés, sous la pression de la Cedeao et d’une partie de la communauté internationale, à remettre le pouvoir aux civils après des élections présidentielle et législatives, initialement programmées en février 2022. Mais, la junte, dirigée par le colonel Assimi Goïta, avait fait de la tenue des Assises nationales un élément déterminant pour la suite à donner à cette transition. Le calendrier électoral proposé à l’issue de ces larges consultations, tout de même boycottées par plusieurs composantes, n’a pas été en mesure de rassurer les partenaires du pays, puisque la principale recommandation est une prolongation de la durée de la transition jusqu’à cinq ans.

Lors d’un précédent sommet le 12 décembre, les dirigeants ouest-africains avaient réclamé la tenue d’élections à la date initialement prévue du 27 février de cette année. Ils avaient maintenu les sanctions infligées à environ 150 personnalités (gel des avoirs financiers, interdiction de voyage au sein de la Cedeao) et leurs familles, et brandi la menace de sanctions « économiques et financières » supplémentaires. Ils doivent maintenant décider de muscler ou non les mesures coercitives, un choix délicat. Le sommet de l’Uémoa avant celui de la Cedeao est considéré comme augurant d’une possible action concertée et peut-être de sanctions économiques.

En août 2020, la Cedeao avait suspendu le Mali de tous ses organes de décision, suspension toujours en vigueur. Elle avait aussi fermé toutes les frontières terrestres et aériennes, et instauré un embargo sur les échanges financiers et commerciaux, à l’exception des produits de première nécessité. En pleine pandémie, l’embargo infligé à un pays pauvre et enclavé avait été durement ressenti. Ces sanctions avaient été levées au bout d’un mois et demi. La Cedeao doit soupeser les risques de braquer les Maliens contre elle avec une nouvelle démonstration de rigueur, disent les analystes.

 

Levée de boucliers en interne

L’exaspération est aussi palpable dans le pays, où, dans un communiqué publié le 2 janvier, le Cadre d’échange des partis et regroupements politiques pour une transition réussie – qui réunit le Rassemblement pour le Mali de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta, renversé le 18 août 2020, et le Yelema de l’ancien Premier ministre Moussa Mara – indique que cette échéance, outre « qu’elle viole la charte de la transition, n’a pas fait l’objet de discussions au Mali et ne saurait être en aucun cas une aspiration profonde du peuple malien ». « Par conséquent, le cadre rejette ce chronogramme unilatéral et déraisonnable » ajoute-t-il. Le « Cadre d’échange », coalition de partis, avait déjà annoncé son refus de prendre part aux Assises nationales de la refondation. Il avait exprimé ce refus le 19 novembre au colonel Assimi Goïta, au pouvoir depuis le putsch du 18 août 2020.

De son côté, le gouvernement malien continue d’invoquer l’insécurité persistante dans ce pays enclavé, livré depuis 2012 aux agissements de groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’organisation État islamique, et aux violences de toutes sortes perpétrées par des milices autoproclamées d’autodéfense et des bandits. Les forces régulières sont elles-mêmes accusées d’exactions. Les deux tiers du pays échappent au contrôle des autorités.

L’ombre de Wagner

Sur le terrain, la situation se complique. D’après de multiples sources, dont des responsables militaires maliens, de nombreux instructeurs russes ont été déployés ces dernières semaines, notamment sur la base de Tombouctou, dans le Nord, récemment quittée par les forces françaises. Un de ces responsables a répondu par l’affirmative à la possibilité que ces instructeurs soient désormais au nombre d’environ 400 à travers le pays.

Des militaires russes étaient déjà présents dans le pays par exemple pour assurer la maintenance d’équipements, mais ils étaient peu visibles en tant que tels. L’arrivée assumée d’un certain nombre d’instructeurs russes conforte le soupçon largement partagé du recours par les autorités maliennes, malgré leurs dénégations, aux services du sulfureux groupe paramilitaire Wagner. Cette suspicion est nourrie par les lignes réputées floues entre Wagner et Moscou.

Un responsable sécuritaire occidental, un diplomate africain en poste à Bamako et un élu local ont fait état auprès de l’AFP de la présence de mercenaires russes, sous le couvert de l’anonymat compte tenu de la sensibilité du sujet. Une quinzaine de partenaires occidentaux du Mali ont déjà rapporté fin décembre que Wagner avait commencé à se déployer, avec le soutien de Moscou selon eux.

Les autorités maliennes ont jusqu’alors démenti non seulement un tel déploiement, mais la conclusion d’un accord, et invoquent la présence de formateurs russes au même titre que de formateurs européens. Le renforcement apparent de la coopération avec la Russie coïncide avec la reconfiguration du dispositif français et la réduction programmée de la force antidjihadiste Barkhane, appelée à passer d’environ 5 000 militaires au Sahel à l’été 2021 à environ 3 000 à l’été 2022. Barkhane a récemment rétrocédé aux Maliens trois bases dans le Nord, la dernière en date à Tombouctou mi-décembre.

Des instructeurs russes sont récemment arrivés à Tombouctou pour accompagner la livraison d’hélicoptères russes, a indiqué un responsable malien. Un autre responsable malien, également sous le couvert de l’anonymat, a confirmé la présence « d’instructeurs militaires russes dans plusieurs parties du Mali ». « Vous parlez de mercenaires, C’est votre affaire. Pour nous, ce sont des instructeurs russes », a dit le premier responsable.

Un responsable sécuritaire occidental a parlé de « quelques centaines de mercenaires russes de la société Wagner déployés sur le territoire malien entre le centre et le nord ». Ce dernier a fait état de deux incidents récents suscités par cette présence : les blessures d’un membre de Wagner, selon lui, touché par l’explosion d’une mine dans le centre du pays en début de semaine ; et la protestation, quasiment inédite de la part des autorités maliennes, contre le survol du camp militaire de Sofara (centre) par un appareil de la force de l’ONU au Mali (Minusma). Aucune réaction officielle n’a été obtenue côté russe. Le Kremlin assure que Wagner est une société privée avec laquelle il n’a rien à voir.

Interrogé sur l’incident dans lequel un Russe aurait été blessé, le porte-parole de l’état-major français, le colonel Pascal Ianni, a indiqué ne pas pouvoir le commenter. « Nous sommes dans des compartiments de terrain complètement distincts, donc la force Barkhane n’a pas été impliquée dans cet incident, si tant est qu’il ait bien eu lieu », a-t-il déclaré devant la presse. Mais un influent élu d’une localité du centre du Mali a assuré que « des engins explosifs ont blessé, et même peut-être tué des mercenaires russes ». « Je suis sur le terrain. Il y a des instructeurs russes et des mercenaires », russes ou non russes travaillant pour eux, a-t-il dit.

Ce nouveau paramètre pourrait changer l’équation pour le pays, mais aussi pour les chefs d’État de la sous-région, qui ont déjà fait allusion à l’intervention des mercenaires russes.

 

Source: Le Point.fr