On croyait l’esprit et même l’idée de contre-pouvoir morts et enterrés au Mali. Tant, depuis des décennies, les Institutions, pour la plupart, s’étaient laissées réduites en simples chambres d’enregistrement de la volonté de l’Exécutif dirigé par un Président-presque-roi et son vice-chancelier, Prince des cieux et de la terre. Mais, belle surprise ! Autre temps, autre visage. Le CNT, avec sa démarche dans la réforme du projet de réforme électorale, a prouvé que, devant le temple des Intérêts de la nation, il peut se trouver une sentinelle consciencieuse qui veille encore.

Dans l’histoire récente du Mali, s’il y a bien une chose que les citoyens ont toujours attendue avec foi, mais qu’ils ont rarement vu se concrétiser, c’est le fonctionnement des contre-pouvoirs dans le système de gouvernance. Au fil des régimes qui se sont succédé, au rythme des pouvoirs militaires ou civils qui se sont passé le relais de la direction de l’Etat, les Maliens ont hélas ! été le plus souvent obligés d’être les spectateurs impuissants de la concentration des pouvoirs (de tous les pouvoirs) entre une seule main. C’est-à-dire la main du chef de l’Exécutif qui, en prince absolu, dicte sa loi aux autres Institutions de la république réduite en de simples chambres d’enregistrement de la volonté du Président-presque-Roi.

Combien de fois, durant ses 60 dernières années, n’a-t-on pas assisté à ces innombrables épisodes d’anomalie institutionnelle où Parlement, Cours et Conseils entérinent et font passer « comme lettre à la poste » le désir du Président-presque-Roi de s’auto-attribuer et d’attribuer à sa formation politique tous les pots de miel de la République. Ce faisant, qu’a-t-on vu la plupart du temps ? Le prince du jour qui tord la main à la Cour des Miracles pour que soient remis en selle ses « petits » tombés du cheval lors de la course hippique législative. Ou encore le fiston du prince, qui est aussi le vrai Vizir du pays, qui oblige (mais sans jamais le laisser paraître) les membres de l’Assemblée nationale à laisser couler une loi ou à fermer les yeux sur une situation « critique » pour laquelle, normalement, des ministres doivent se présenter illico devant l’Hémicycle. Ou même d’autres apparentés du prince qui, forts de leurs liens de proximité sanguine avec Sa Majesté, se donnent le droit de choisir le casting du gouvernement ou d’autres Institutions. A moins que ce ne soit un comité fantôme qui, commis en douce par le vice-chancelier, fait glisser le stylo pour rédiger une loi faite sur mesure et la fait avaler par les Honorables. Et ainsi de suite… Etc., etc.

Ainsi a toujours évolué notre Mali indépendant de la gouvernance, dans lequel les contre-pouvoirs ont trop souvent tourné exactement comme des béni-oui-oui se couchant machinalement pour satisfaire les desiderata du palais “royal”.

Mais, comme aimait à le dire le redoutable cardinal de Richelieu, « en politique, il est une grave erreur que de considérer que ce qui est fréquent est aussi constant ». Une erreur d’appréciation dont le piège s’est refermé sur le gouvernement… ou plutôt, non… sur le Premier ministre de la Transition, Choguel Kokalla Maïga dont le projet de loi électorale initial s’est littéralement fracassé sur les digues solides du CNT. L’épisode, qui continue de dominer les débats et conversations des Maliens, a prouvé aux compatriotes qu’il ne fallait pas totalement désespérer de la réalité des contre-pouvoirs dans notre système politique. En effet, lors de la double séance dédiée à l’examen et aux débats sur l’adoption du projet de réforme électorale, et même en amont de cette session, les membres du CNT ont enclenché des leviers de contre-argumentation et de contre-pouvoir dont on ne pensait plus un organe législatif capable en terres maliennes. Sans faillir à leur mission de contrôle, sans transiger avec les prérogatives d’amendements dont ils sont investis, sans succomber à la complaisance complice et ô combien préjudiciable aux intérêts de la nation, sans se laisser impressionner, les Conseillers nationaux ont, telle une sentinelle inébranlable, fait barrage à une version initiale du projet qui avait tout du costume taillé pour les épaules d’un seul individu… ou peut-être d’un seul micro parti politique.

Dans leur démarche de toilettage du projet d’origine, les CNTistes ont clairement fait prévaloir la cause de la nation sur les intérêts personnels d’une minorité politicienne. Un comportement collectif des membres de l’organe législatif provisoire qui contredit l’écrivain Guy de Maupassant. Lequel, sceptique comme un Malien, écrivait avec force que « notre époque de gouvernance est dominé par un double trait indélébile et général : la décrépitude et l’égocentrisme de l’esprit politique ».

Au départ, décrié, il est vrai ; à mi-chemin, scruté avec scepticisme, sans doute ; le CNT, par ces récentes actions, est en passe de réaliser le rêve des Maliens d’être les citoyens d’un pays où, comme le préconise l’éclairé Monstesquieu, l’auteur de “De l’Esprit des Lois”, « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »

Ce ne sont certainement pas les Maliens et Maliennes qui diront le contraire.

MOHAMED MEBA TEMBELY   

Source: Journal Les Échos- Mali