Des « Assises nationales de la refondation » de l’État malien se dérouleront du 20 au 26 décembre 2021. La lecture des Termes de références qui les encadrent nous pousse à émettre quelques remarques concernant la pertinence de ces réunions.

 

  1. La nature ambiguë des Assises nationales de refondation

Dans l’histoire constitutionnelle et politique des États d’Afrique, organiser des assises nationales est banal : en 1991, Amadou Toumani Touré annonçait déjà la tenue d’une « conférence nationale » ; depuis septembre 2021, les officiers qui ont pris le pouvoir en Guinée ont ouvert des « concertations nationales ».  Avec les accords politiques, ces réunions, quel que soit leur nom, font partie des mesures traditionnelles, fades et – osons le dire – souvent inutiles, instaurées par des gouvernants parvenus de façon illégale à la tête de certains États. Le choix de telle ou telle expression – assises nationales plutôt que conférence nationale, la première sous-entendant peut-être une plus grande place accordée aux citoyens – ne change rien.

Ces rencontres viseraient à mettre fin à la crise de confiance qui ne cesse de se creuser entre les gouvernés et les gouvernants au Mali, surtout depuis que la Constitution de la IIIe République tient lieu de pièce de musée ou de cabinet de curiosités. Cependant, l’un des objectifs énumérés dans le document décrivant les assises est de « proposer des éléments de réformes en vue de la révision de la Constitution du 25 février 1992 ». Ce point doit attirer l’attention, car il ne limite par les assises à un moyen de libérer la parole en matière politique : il fait, des propositions qui en ressortiront, un acte pré-constituant. Or, celles-ci ne pourront être formulées que par des délégués, dont la désignation est floue. On peut penser que ces représentants risquent de former une Assemblée constituante, à la place du peuple. Pour le dire autrement, une usurpation de la mission constituante des citoyens est à craindre.

Les Assises nationales de refondation, mesure inefficace ?

Pour mettre en place un système de gouvernance adapté aux réalités maliennes, le gouvernement doit résoudre un problème complexe, mêlant sujets politiques et constitutionnels. En effet, le droit constitutionnel est en crise à cause d’accords politiques nombreux que les dirigeants placent au-dessus des lois. Par conséquent, le système politico-institutionnel n’est plus crédible et la démocratie est remise en cause. L’État est donc gravement fragilisé au point de n’être plus qu’une illusion. Depuis près de dix ans, le Mali vit sous le régime de la transition politique, qui néglige les aspirations du peuple. C’est pourquoi les assises nationales sont présentées par le gouvernement comme le moyen de régler la crise étatique. Mais est-il raisonnable de penser que les propositions émises pendant ces réunions pourront résoudre les problèmes politico-sociaux que les dirigeants, sous la IIIe République, ont tenté de juguler avec plus ou moins d’implication ? Si on peut l’affirmer, comment parvenir à cet objectif, alors que les organisateurs de ces rencontres ont eux-mêmes violé la Constitution à plusieurs reprises ? Il apparaît que ces rencontres entre les prétendus délégués du peuple et l’exécutif ne doivent pas seulement servir de moyen pour permettre au citoyen de contribuer à résoudre les problèmes de l’État : elles doivent aussi inciter à transformer la manière de faire de la politique. Car, plus que la qualité des lois, c’est l’inobservance de nombreux principes, telle la mauvaise gouvernance, qui est dénoncée.

  1. Le prétexte de la refondation de l’État

Les assises nationales faisant la part belle au peuple pour sortir l’État de l’impasse, nul ne peut contester leur légitimité : en matière de démocratie, la démocratie participative est un summum. Le gouvernement ne saurait donc être critiqué en prenant cette mesure, car, de cette manière, il prétend établir un nouvel ordre social conforme aux attentes des Maliens. Subterfuge efficace pour paraître soucieux du peuple et faire oublier les méfaits commis depuis le coup d’État de 2020. Mais cela ne suffit pas, car – c’est évident – mettre fin au régime de la concentration des pouvoirs suppose la séparation des fonctions militaires, politiques et religieuses. Or, comment le gouvernement de Choguel Maïga peut-il penser qu’un consensus soit possible sur ce sujet, puisque des imams cherchent à accéder au pouvoir en même temps que l’armée veut y rester ? En réalité, en arguant de la nécessaire refondation de l’État, les dirigeants trouvent un prétexte pour ne pas remettre en question leur conduite, cause essentielle de la faillite de l’État, et leurs oppositions, souvent stériles et dangereuses pour le Mali.

La question des assises ne devrait donc pas porter sur le système politico-constitutionnel à adopter après la Transition, mais sur les principes à appliquer pour que l’État cesse d’être une abstraction. Parmi eux, la responsabilisation des gouvernants est prioritaire, au sens où elle les oblige à lutter contre la corruption et à organiser honnêtement des élections présidentielles et législatives, comme ils s’y engagent depuis le 18 août 2020. Cependant, où est l’harmonie entre les discours et les actes ? Ensuite, il faut que l’armée cesse d’intervenir sponte sua dans la politique. Les initiatives d’une partie de ses rangs ont suffisamment détérioré l’État ! Là aussi, les dispositions de la IIIe République sont claires. Alors, pourquoi en changer ?

Manifestement, le débat public se réduit chaque jour davantage à une sorte de marchandage, de troc, qui sert la tontine politique, non un projet politique. Le but recherché par le gouvernement en organisant ces assises ambiguës ne fait que le confirmer.

Balla CISSÉ, docteur en droit public de l’Université Sorbonne-Paris-Nord et diplômé en Administration électorale de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne