Alors que les violences perdurent, que le principal opposant est enlevé et que le Covid-19 s’installe, les Maliens sont convoqués aux urnes.

Drôle d’ambiance ce dimanche au Mali. Alors que le pays annonce le décès d’un malade du Covid-19 et l’augmentation rapide du nombre de cas, le président Ibrahim Boubacar Keïta a décidé de maintenir les élections législatives ce dimanche 29 mars. L’autre épreuve à laquelle est confronté le pays, c’est la disparition depuis mercredi dernier du leader de l’opposition Soumaïla Cissé, enlevé « vraisemblablement » par une branche d’Al-Qaïda en pleine campagne électorale dans le centre du Mali. Ce soir, beaucoup auront les yeux rivés sur le taux d’abstention qu’on redoute déjà très élevé.

Des violences persistantes dans le pays

Le scrutin se tiendra bel et bien, « dans le respect scrupuleux des mesures-barrières », a insisté le chef de l’État malien dans une déclaration faite le 25 mars. Les Maliens sont donc appelés à élire leurs députés pour renouveler les 147 sièges du Parlement en deux tours, ce dimanche et le 19 avril. Les bureaux de vote seront ouverts en principe de 8 heures à 18 heures GMT. Mais on sait d’ores et déjà que le scrutin ne se tiendra pas partout, alors qu’une large partie du territoire est en proie à des violences quasi quotidiennes. Les quelque 200 000 déplacés que compte le pays ne pourront en tout cas pas voter, car « aucun dispositif n’a été établi », selon un responsable du ministère de l’Administration territoriale, Amini Belko Maïga, cité par l’AFP.

 

Le mandat de l’Assemblée issue des élections de 2013, qui avaient octroyé une majorité substantielle au président Ibrahim Boubacar Keïta, était censé s’achever fin 2018. Mais les élections ont été repoussées à différentes reprises en raison de la dégradation de la sécurité et des querelles politiques. Les attaques djihadistes, les violences intercommunautaires, le brigandage et les trafics continuent, malgré la présence de forces françaises, régionales et de l’ONU. Le leader de l’opposition Soumaïla Cissé a été enlevé ces derniers jours par des inconnus armés alors qu’il faisait campagne dans son fief électoral de Niafounké, près de Tombouctou (nord). Il est « vraisemblablement » aux mains de djihadistes se revendiquant du prédicateur peul Amadou Koufa, qui dirige l’une des branches de la principale alliance djihadiste du Sahel affiliée à Al-Qaïda, selon un élu du centre du pays et une source sécuritaire. Soumaïla Cissé, 70 ans, et les six membres de sa délégation enlevés en même temps que lui « ont probablement changé de zone et sont loin du lieu du rapt », selon la source sécuritaire.

 

La peur du Covid-19

Rare pays d’Afrique épargné jusqu’à mercredi par le coronavirus, le Mali a enregistré samedi son premier décès lié au Covid-19, sur 18 cas officiellement recensés. « Mes services m’ont informé depuis 6 heures du matin du décès d’un malade parmi les personnes testées positives au coronavirus », a déclaré à l’AFP le ministre de la Santé Michel Sidibé. Après des analyses approfondies effectuées dans la journée, « on a un décès aujourd’hui », « parce que le virus de la maladie était dans son poumon », a dit le ministre. À Bamako, du gel, du savon et des masques ont été distribués en prévision du scrutin et en province des kits pour se laver les mains ont été achetés sur place, selon les autorités. Le parti de Soumaïla Cissé appelle à une « participation massive » afin de sortir « encore plus grandi de cette épreuve », alors que plusieurs autres formations d’opposition souhaitaient un report de l’élection.

Le Mouvement patriotique pour le renouveau (MRP) de Choguel Maïga, le Congrès d’initiative démocratique (Cnid), l’ancien ministre Moussa Sinko Coulibaly ou encore le mouvement de soutien à l’influent imam Mahmoud Dicko (CMAS) ont quant à eux appelé à un report du scrutin en raison de la propagation du coronavirus. Trois candidats ont annoncé leur retrait de la course à la députation : Moussa Ben Deka Diabaté, Chérif Mohamed Haïdara et Oumar Diop.

De nombreux Maliens ne comprennent pas cette décision de maintenir le vote alors que le pays en est état d’urgence sanitaire et qu’un couvre-feu a été décidé. Alors beaucoup invitent les Maliens à rester chez eux. « Une hécatombe : comment le Mali a pu tomber si profondément dans le marasme avec ses irresponsables hommes politiques capables de manigancer des stratégies bassement politiciennes ? Les élections nous mèneront, je le crains, à un désastre humain. Covid-19. Honte à eux », écrit cet internaute. Pour d’autres au contraire « la voix de chacun compte. Sortons pour voter le 29 mars. L’État promet de mettre en place des mesures de protection », assure un autre sur Twitter.

La campagne n’a pas suscité beaucoup d’engouement. Elle a été encore plus ralentie par les mesures sanitaires et l’interdiction des rassemblements. Pourtant, les enjeux sont importants. Pour les experts, il s’agit de faire enfin progresser l’application de l’accord de paix d’Alger. L’accord a été signé en 2015 entre les autorités et les groupes armés indépendantistes, notamment touaregs, qui avaient pris les armes en 2012. Il ne concerne pas les groupes djihadistes. Mais sa mise en œuvre est considérée comme un facteur essentiel d’une sortie de crise, à côté de l’action militaire. Il prévoit plus de décentralisation via une réforme constitutionnelle. Certains opposants estiment que la réforme ne peut être adoptée par l’Assemblée actuelle, car celle-ci est jugée par les experts « légale mais plus légitime ». « Sur l’impératif constitutionnel de tenir ces élections est venu se greffer un impératif politique », abonde au micro de l’AFP Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) à Bamako. « Beaucoup au sein de l’opposition et de la majorité estiment que l’Assemblée ne reflète plus l’état politique des choses et qu’il faut la renouveler », dit cet expert.

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