C’est le paradoxe de la démocratie à la malienne. En 2018, plusieurs coalitions de partis politiques ont fait front contre la candidature pour un second mandat du président Ibrahim Boubacar Kéita, auquel la constitution issue du mouvement dit démocratique de mars 1991 garantissait de candidater. A l’inverse, depuis leur création, « excepté l’ADEMA », tous les partis politiques maliens n’ont jamais connu d’alternance en leur sein. Le seul parti qui était en passe de réussir ce challenge est l’ADP-Maliba. Hélas, son richissime fondateur, après en avoir confié les rênes à une tierce personne, s’en est offert plus tard, suite à une bataille juridique et aux fins d’une manigance politico-politicienne, le monopole. Confortant ainsi la thèse selon laquelle les partis sont assimilés à des propriétés privées de leur président–fondateur. Leur «chose» comme le décrit brillamment Aly Cissé dans Mali : une démocratie à refonder.

Le Mali compte près de 200 partis politiques. Mais dans la pratique, ce pluralisme politique va à l’encontre d’un principe sacro-saint de la démocratie qu’est alternance. « Aucun parti politique au Mali ne limite le nombre de mandat pour le président », analyse Alexis Kalambry, éditorialiste politique, longtemps proche de l’emblématique Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ) qui formait dans les années 1990, avec le Congrès national d’initiative démocratique (CNID Faso YiriwaTon) de Me Mountaga Tall, les pépinières du mouvement démocratique malien.

Sur la dizaine de partis qui animent l’hémicycle du pays, les têtes d’affiches sont les mêmes depuis 10, 20, voire trente ans pour certaines formations. Cette longévité s’explique, selon l’éditorialiste, par le fait que les partis sont devenus des « affaires juteuses » plus que des « chapelles idéologiques » où on se bat pour imposer une idée.

Un ancien militant politique corrobore cette affirmation : « aujourd’hui, beaucoup de militants assimilent la politique à du travail». Or, à la différence du travailleur qui vise son bien-être personnel, le responsable politique, lui travaille pour un idéal au service du grand nombre, estime celui qui confie s’être éloigné de la scène politique à cause notamment de déviations idéologiques.

Toutefois, une autre raison permet d’appréhender cette mainmise des chefs sur les partis politiques au Mali. Dans de nombreuses formations, le chef se trouve être le bailleur de fonds. Ce qui est de toute évidence, contraire aux idéaux du mouvement démocratique, fait office de norme non écrite au sein des formations politiques. Le semblant d’alternance au sein du parti Adema masque mal la « dictature » de clan qui prévaut dans beaucoup de partis, et qui freine l’alternance.

Plutôt que de voir la pléthore de partis politiques comme un exemple de vitalité de la démocratie au Mali, il faudrait s’attarder sur les « reflexes monarchiques » contagieux. Et en la matière, tous les bonnets sont blancs. « Chaque responsable de parti veut régner sans partage, comme dans un royaume », ironise un politologue malien. Conséquence de cet état de fait : les démocrates d’hier sont devenus les dictateurs d’aujourd’hui au sein de leur propre formation politique.

Aly Bocoum

Source: Bamakonews