L’élection présidentielle doit se tenir au mois de Juillet 2018 et, bien que l’enjeu soit éminemment politique, les prétendants à l’ascension du Mont Koulouba savent bien que le seul poids des partis politiques ne suffira pas pour gagner la partie. La société civile se retrouvera donc au cœur de la problématique mais elle a le sentiment d’être tournée en bourrique depuis 25 ans par les mêmes acteurs politiques dont le parcours est pavé de complicité, de duplicité et de coups bas au gré des humeurs et des intérêts. A qui les Maliens accorderont- ils leurs suffrages ?

LE CHOIX DE SOUMEYLOU ET AG ERLAF POUR ORGANISER LES ÉLECTIONS AFIN D’EN MAÎTRISER LES RISQUES
La vie politique malienne se caractérise par sa grande morosité en dehors des périodes électorales, la plupart des partis ne s’illustrant que par des communiqués laconiques et opportunistes pour soutenir ou condamner au fil de l’actualité. Les changements de position et de camp sont si soudains et si fréquents qu’il est difficile de situer certains spécimens sur l’échiquier. Même les passes d’armes entre la majorité et l’opposition à l’hémicycle tiennent plus de la volonté de mettre l’adversaire en difficulté que du souci d’enrichir le débat démocratique. La nomination de Soumeylou Boubèye Maïga à la Primature et les réaménagements intervenus au sein de l’équipe gouvernementale annoncent clairement le dispositif d’IBK pour organiser les élections et les gagner. Soumeylou est un homme de réseau et de contact qui connaît le microcosme politique pour avoir régulièrement occupé des postes stratégiques à différents niveaux. Il a été au centre d’alliances et de mésalliances qui ont affecté le destin de la plupart des hommes politiques actuels. L’arrivée de Mohamed Ag Erlaf au Ministère de l’Administration Territoriale n’a rien d’anodin non plus. Le Premier ministre et lui vont constituer le tandem de choc des prochaines élections. En la matière, IBK qui veut en maîtriser les risques les a jugés plus expérimentés et plus aptes que ceux qui les ont précédés à ces postes.

Si les partis politiques ne font plus recette, de son côté la société civile souffre d’un problème de leadership ayant permis la naissance de nouveaux comportements sociaux incarnés par des jeunes comme Ras Bath qui, en prenant publiquement la parole ont réussi à cristalliser des rancœurs et des frustrations. Ceux des candidats qui voudront s’aménager un espace citoyen auront besoin d’appuis solides au sein des groupements religieux et de la diaspora malienne. En effet, nul n’ignore le poids des religieux et des Maliens de l’extérieur dans le processus électoral. On sait que les hommes politiques ont jusqu’ici préféré le confort de la selle dans « l’alliance du cavalier et du cheval » mais, peut-on raisonnablement continuer à confiner les religieux et la diaspora dans le rôle réducteur de vaches à lait et de bétail électoral, alors qu’ils ont les moyens de proposer ou d’être le cheval qui tire la charrue ? Leur implication effective dans la vie politique nationale sera un enjeu majeur des prochaines élections. A la lumière de tout ce qui précède, quelles sont les forces et les faiblesses du locataire actuel de Koulouba ?

MALGRÉ DES ERREURS DE COACHING, IBK
POURRAIT BÉNÉFICIER DE LA PRIME AU SORTANT
Au contraire de ses deux devanciers qui n’ont eu aucun mal à briguer leur second mandat en s’appuyant respectivement sur l’ADEMA et le Mouvement Citoyen, IBK n’est pas parvenu à créer avec et autour du RPM une force politique homogène et percutante. En déclarant qu’il ne doit son élection à personne, il avait jeté un doute compréhensible au sein de sa propre majorité. Effet, être le parti du vainqueur de l’élection de 2013 avant de devenir le parti majoritaire à l’Assemblée Nationale, pour se retrouver quasiment exclu de la gestion du pays, a fini par créer des frustrations et la démotivation au RPM. En outre, IBK a commis de nombreuses erreurs de coaching dans la constitution de l’équipe gouvernementale. En 2013, pendant que le pays avait besoin d’hommes de terrain aguerris pour s’attaquer aux questions de paix, de sécurité et de réconciliation, il va donner sa préférence à la jeunesse et à la technicité. Il a ainsi usé presque en pure perte deux jeunes premiers ministres avant que Modibo Kéita soit rappelé d’une retraite paisible pour jouer un rôle de tampon. Après lui, l’arrivée à la Primature de Abdoulaye Idrissa Maïga, cadre compétent du RPM et directeur de campagne en 2013, ainsi que celle de Tiéman H. Coulibaly annonçaient l’équipe gouvernementale de campagne pour 2018. Cependant, le report des élections locales, le retrait par IBK à son corps défendant de textes de loi importants ont été perçus comme des reculades vexantes et ont créé un vrai doute à Sébénikoro. D’où le besoin de rattraper rapidement le coaching. D’autres situations ont porté un coup au bilan d’IBK, comme le déplacement de l’insécurité du nord vers le centre du pays. L’activisme croissant des groupes terroristes malgré la présence des forces internationales et de Barkhane a fait fondre une bonne partie des dividendes nés de la signature de l’Accord pour la paix. La lutte contre la corruption annoncée n’a pas non plus produit les résultats escomptés avec des affaires de détournements qui ont longtemps défrayé la chronique. Enfin, la communication a été caractérisée par le manque d’anticipation qui a par moments laissé le sentiment que les évènements sont plus subis que maîtrisés. Pour autant, IBK ne manque pas d’atouts importants qui préservent ses chances de rebondir.

L’entrée dans la république des anciennes forces rebelles avec la signature de l’Accord pour la paix d’une part, la nomination des autorités intérimaires, la tenue réussie du Sommet Afrique- France, de la Conférence d’Entente Nationale, la création du G5 Sahel d’autre part, ont largement contribué au repositionnement rapide du Mali sur la scène internationale. Pendant ce temps, de grands travaux d’infrastructure sont entrepris et certains ouvrages livrés. La réhabilitation des forces de défense et de sécurité en général, l’équipement et le réarmement moral de l’armée nationale en particulier sont des réalités tangibles. L’armée malienne n’est plus abonnée aux replis stratégiques comme en 2012, elle fait désormais face à l’ennemi sur le terrain. En outre, dans la gestion des drames de la migration irrégulière, le gouvernement et ses partenaires ont toujours été à la hauteur des attentes des migrants en détresse et de leurs familles. L’adoption de la Politique Nationale de Migration, la construction de la Maison des Maliens de l’extérieur comportant un centre d’accueil des migrants de retour, le projet de création de la Banque des Maliens de l’extérieur, l’amélioration de services rendus par les missions diplomatiques et consulaires, l’accueil et l’assistance aux migrants de retour sont autant d’atouts au crédit d’IBK. Enfin, il soigne une image de réconciliateur et de bon père de famille. Le retour d’ATT le 24 Décembre 2017 l’a placé dans le rôle du Père Noël pour certains, dans celui du bon grand frère pour d’autres. ATT et ses partisans qui n’ont pas boudé leur plaisir seront certainement plus coopératifs lors de la campagne électorale. A défaut, ils éviteront d’aller jouer dans la cour d’en face. En définitive, malgré de nombreuses zones d’ombre, IBK pourrait bénéficier de la prime au président sortant avec le soutien d’une majorité présidentielle requinquée et remise en ordre de bataille au tour de Tréta, face à une opposition plurielle dont le chef peine à discipliner une troupe affichant plus de prétentions que d’ambitions.

« Le Vieux » va ainsi pouvoir se tenir en embuscade sur la route étroite et sinueuse de Koulouba, surplombant et attendant de pied ferme des adversaires revanchards loin de se douter du saut d’obstacles qu’il leur réserve entre la fosse aux lions, les escarpements rochers et les ronces.
A bon entendeur !

Mahamadou Camara
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