La Mission d’observation électorale de l’UE (MOE UE), dirigée par la Chef observateur Cécile Kyenge, députée au Parlement européen, est présente au Mali à l’invitation du Gouvernement malien pour observer l’élection présidentielle du 29 juillet, avec un deuxième tour qui a eu lieu le 12 août. Arrivée le 19 juin dans le pays, la Mission dispose à Bamako d’une équipe cadre de 9 analystes. La Mission a déployé le 2 juillet 20 observateurs de longue durée qui assurent le suivi de la phase pré-électorale, de la campagne électorale et du déroulement du scrutin, ainsi que de la compilation des résultats. Pour le jour du scrutin, la Mission a déployé en tout près de 90 observateurs issus de 25 Etats membres de l’Union européenne, ainsi que de la Norvège, de la Suisse et du Canada.

1. Administration électorale
Des efforts consentis en faveur de la transparence
Des améliorations essentielles relatives à la transparence ont été enregistrées entre les deux tours. Des candidats, des observateurs, dont la MOE UE, ainsi que la communauté internationale ont demandé aux autorités de prendre certaines mesures renforçant la confiance des acteurs politiques envers le processus. En conséquence, le MATD a publié en ligne le 8 août les résultats désagrégés bureau de vote par bureau de vote (BV), publication intervenue toutefois après la proclamation des résultats définitifs. Deux jours auparavant, le ministère avait publié la liste des bureaux où le vote n’avait pu avoir lieu le 29 juillet.
Le rôle secondaire de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) dans le processus a été confirmé par son absence d’intervention entre les deux tours. Elle n’a pas pu observer le scrutin du 29 juillet dans de nombreux BV des régions du nord où les conditions sécuritaires n’étaient pas favorables à une couverture systématique des BV. La CENI, qui aurait dû jouer un rôle de supervision, n’a pas été présente de manière continue à la centralisation des résultats.

Des préparatifs logistiques renforcés pour le second tour
Le MATD a mis en œuvre des mesures destinées à corriger les défaillances organisationnelles du premier tour, malgré les délais serrés. Les autorités locales ont reçu une instruction officielle leur rappelant leurs attributions et leurs obligations, assorties d’un devoir de réserve et de discrétion. Le MATD a également organisé des formations des préfets mettant l’accent sur la centralisation et le remplissage des procès-verbaux (PV). La Mission a observé un manque de maîtrise des procédures dans les bureaux de vote de la part des agents électoraux pour le premier tour.
La formation de ces agents entre les deux tours ainsi que le remplacement de ceux ayant montré des lacunes pendant le premier tour a été laissé à la discrétion des autorités locales.
Les bulletins de vote et les documents électoraux ont été commandés avant la proclamation des résultats provisoires et définitifs par le MATD et la Cour constitutionnelle.
Les représentants de l’Etat ont pris des dispositions pour le stockage des fournitures réutilisables (urnes, isoloirs, etc.) tandis que la sécurisation des bulletins de vote utilisés lors du premier tour reste à leur discrétion

Les listes électorales n’ont pas subi de modification ni de renouvellement par rapport au premier tour. Le fichier électoral demeure une préoccupation pour les acteurs politiques, notamment en raison de la sous-représentation des jeunes (18-24 ans), qui constituent seulement 11 % des inscrits, et du nombre de décédés inclus dans le fichier.

La distribution et l’utilisation des cartes non-distribuées reste un enjeu
Avant le premier tour, le nombre des cartes non-distribuées s’élevait à 2.012.283, ce qui représente 25 % de l’électorat
Le point sur la situation réalisé depuis par le MATD montre que seulement 1,06% des électeurs ont retiré leur carte dans les BV lors du premier tour. Selon les observations de la Mission, dans plusieurs bureaux de vote les cartes n’étaient pas disponibles le 29 juillet et aucune fiche d’émargement n’avait été prévue. Entre les deux tours, les autorités ont limité cette distribution au niveau des locaux des sous-préfets, ce qui a pénalisé les électeurs résidant loin des chefs-lieux d’arrondissement

En outre, selon les observations de la Mission, la distribution d’entre-deux tours n’a pas été organisée de manière uniforme dans tous les arrondissements. La distribution des cartes le 12 août a connu des améliorations et la MOE a constaté leur présence dans tous les bureaux de vote observés.

1. Résultats du premier tour
Des résultats contestés par une majorité de candidats mais confirmés pour l’essentiel par la Cour constitutionnelle
Suite au premier tour, la Mission a observé la clôture et le dépouillement dans 42 bureaux de vote, en suivant l’acheminement des procès-verbaux de résultats vers les commissions de réception. La centralisation locale a été évaluée de manière généralement positive par les observateurs.
Commencée le 30 juillet, la centralisation des résultats provisoires par le MATD au niveau national a duré quatre jours et a été conduite avec un souci affiché de transparence, le ministère permettant aux représentants des candidats de jouer un rôle actif durant cette phase[19]. Chaque représentant a eu la possibilité de soulever des observations et des réclamations pendant la centralisation mais seules sept observations, préparées par le MATD, ont été mentionnées dans le PV transmis à la Cour constitutionnelle. Les observateurs nationaux et internationaux ainsi que la MINUSMA ont été présents.[20]
Le MATD a constaté des erreurs et des incohérences sur certains PV mais n’a pas tenté de corriger ou de trouver des explications aux erreurs des PV de centralisation locale et de l’étranger, se contentant de les signaler à la Cour, seule habilitée à les corriger.
Le MATD a proclamé les résultats provisoires nationaux le 2 août et les a publiés sur son site internet. Le nombre de suffrages exprimés (3.220.501) diffère du total des résultats par candidat (3.201.461). Le PV mentionne un écart non justifié de 19.040 voix entre les votants et les suffrages exprimés[21]. Après le recensement général des votes, la Cour constitutionnelle a proclamé les résultats définitifs le 8 août qui diffèrent peu des résultats provisoires et confirment le classement des deux premiers candidats. Le nombre des suffrages exprimés pour le premier tour est de 3.192.149 et le taux de participation est de 42,70 %.
Concernant les résultats du premier tour, le taux élevé de votes nuls dans certains cercles est notable[22]. Les candidats de l’opposition ont souligné des taux élevés de participation corrélés aux faibles taux de bulletins nuls dans les régions du nord, sécurisées par les groupes armés signataires des accords de Paix. Le Président sortant arrive largement en tête dans ces régions.

Contentieux et procédure de compilation propre à la Cour constitutionnelle
Le traitement des recours et de compilation des résultats par la Cour constitutionnelle n’ont pas apporté de changements substantiels aux résultats provisoires, l’ensemble des recours ayant été soit jugés irrecevables, soit rejetés par la Cour. Par ailleurs, la publication des résultats BV par BV n’est intervenue qu’après la proclamation des résultats définitifs, privant ainsi les requérants de la possibilité de les utiliser pour d’éventuels recours.
La Cour a réintégré 1.176 bulletins nuls sans que cela n’affecte significativement les résultats. Cependant, dans son décompte final, la participation a baissé de 28.960 électeurs par rapport aux résultats provisoires. Ceci laisse à penser qu’un nouveau décompte complet des résultats a bien été effectué par la Cour,[23] sans que celui-ci ne réponde à une procédure clairement définie dans les textes quant aux modes opératoires et aux possibilités d’accès pour représentants de candidat et observateurs. La MOE rappelle que dans un souci de nécessaire transparence, toutes les étapes du processus électoral devraient être accessibles aux représentants de candidats ainsi qu’aux observateurs nationaux et internationaux.

La grande majorité des recours des candidats ont été écartés pour une question de délai
Sur les vingt-trois recours déposés à la Cour constitutionnelle, vingt ont été jugés non-recevables car déposés hors-délai.[24] En effet, la Cour s’appuie sur une imprécision de sa Loi organique, qui donnait jusqu’au vendredi 3 août au soir pour déposer les recours portant sur les opérations de vote, et jusqu’au samedi 4 août au soir les contestations de résultats chiffrés de candidats. La grande majorité des recours ayant été déposés le samedi, ceux-ci ont été écartés sur la base de délais prêtant à confusion.
Comme déjà relevé par la MOE, la Cour n’a pas signalé aux requérants clairement et préalablement les moyens de preuve qu’elle accepte. Le recours d’Aliou Diallo, un des quatre recours jugés recevables, a été rejeté pour ce motif, la Cour refusant un constat d’huissier sans autre élément de preuve. En outre, le seul recours de Soumaïla Cissé jugé en partie recevable a aussi été rejeté pour ce motif de preuve. La MOE rappelle qu’il ne peut exister de sécurité juridique pour les requérants sans des procédures claires et déterminées à l’avance.
Oumar Mariko, candidat ayant déjà saisi sans succès la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) sur le sujet, a renouvelé sa requête en annulation de l’élection sur la base de l’interdiction de révision électorale dans les six mois précédent un scrutin, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques. La Cour constitutionnelle a dans ce cas suivi le même raisonnement que la Cour de la CEDEAO en estimant que la révision a eu lieu avec « le consentement d’une large majorité des acteurs politiques » conformément à l’article 2 du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance.
Enfin, le recours collectif en récusation de six conseillers constitutionnels a été rejeté, la Cour soulignant que cette procédure contre les juges ordinaires ne s’applique pas à la Cour constitutionnelle, ce qui est fondé en droit.

Observateurs nationaux et internationaux
Le déploiement dans les régions du centre et du nord a constitué une nette contrainte sécuritaire et logistique pour toutes les missions d’observation, nationale et internationale, pour les deux tours du scrutin.[25]
Le premier tour de scrutin a été couvert par les missions d’observation nationales et internationales, la CENI délivrant 6.550 accréditations. Pour le second tour, les plus grandes missions d’observation nationale, le Pool d’observation citoyenne du Mali (POCIM)[26] et la Coalition pour l’observation citoyenne des élections au Mali (COCEM)[27] ont conservé leur plan de déploiement initial ainsi que le nombre d’observateurs.
Avec 171 observateurs, la Mission d’observation de la CEDEAO, dirigée par l’ancien Premier ministre du Burkina Faso Kadré Désiré Ouédraogo, a été la plus importante en termes d’effectifs pour les deux tours. La mission de l’Union africaine, dirigée par Thomas Boni Yayi, ex-Président béninois, a déployé 48 observateurs. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) avait délégué une simple mission d’information.

Vote et dépouillement des résultats
Le scrutin du 12 août s’est généralement déroulé dans le calme malgré quelques incidents qui ont été principalement signalés dans le nord du pays. La quasi-totalité des bureaux de vote observés[28] par la mission ont ouvert à l’heure. Dans tous les bureaux observés, l’ouverture s’est déroulée de manière transparente et la conduite des procédures a été évaluée comme positive dans 95 % d’entre eux. Dans 20 % des BV observés pour l’ouverture, les membres n’étaient pas présents dans leur totalité. L’acceptation tardive par le MATD de la demande de l’Union pour la République et la démocratie (URD) de changer certains des assesseurs de l’opposition a parfois créé de la confusion.
Les procédures de vote ont été correctement appliquées dans presque la totalité des bureaux de vote visités[29] par la Mission. Dans quelques cas, les observateurs ont néanmoins relevé des insuffisances, surtout liées à l’absence des listes électorales[30] (26 % des BV observés), l’absence de bulletins, et dans 14 % des cas, la disposition du BV ne garantissait pas le secret du vote. La présence des cartes d’électeur dans les BV a été généralement relevée dès l’ouverture, constituant une amélioration par rapport au premier tour. L’affluence a été qualifiée d’assez faible par les observateurs, ce qui pourrait se traduire par un taux de participation plus réduit que lors du premier tour. Les délégués des candidats étaient présents dans 98 % des bureaux de vote observés.
Le dépouillement a généralement été conduit de manière transparente et des améliorations ont été constatées par rapport au remplissage des procès-verbaux des 37 BV observés pour la clôture et le dépouillement. Cependant, les résultats ont été affichés à l’extérieur dans seulement 64 % des BV observés. Les assesseurs et délégués de partis politiques ont reçu les résultats dans 95 % des cas. Les observateurs nationaux étaient présents pour le dépouillement dans seulement 61 % des BV observés pour la clôture. La Mission poursuit actuellement l’observation de la centralisation des résultats.
Les autorités ont mis en œuvre des mesures supplémentaires de sécurisation des élections, déployant quelque 6.000 hommes le 12 août. Malgré cela, quelques incidents se sont produits dont le plus sérieux a eu lieu dans le cercle de Niafunké dans la région de Tombouctou où un président de bureau de vote a été assassiné par des individus armés. Dans diverses régions, et en particulier à Mopti, de nombreux bureaux de vote n’ont pas ouvert en raison de l’insécurité et de l’inaccessibilité[31]. La journée électorale a aussi été marquée par des allégations à propos de bulletins pré-marqués et d’achats de votes. Cinq membres de l’équipe de communication du candidat Cissé ont été interpellés par des forces de sécurité puis relâchés le jour du scrutin.

Bamako, 14 août 2018

 

Source: info-matin.