Comme à Valéry Giscard d’Estaing en campagne en 1981, on lui demandait de changer : il a changé ! Mais, comme pour celui-ci, n’est-ce pas trop tard ? Peut-il remplacer IBK, quand le Comité National pour le Salut du Peuple l’a déjà fait ? Il est en forme, c’est le moins qu’on puisse dire, ce 7 octobre 2020, quand il atterrit à Bamako: il a décliné l’offre d’aller faire un contrôle à la clinique, préférant monter directement à Koulouba, où il a échangé les plaisanteries d’usage, les cheveux noirs, contrairement à la toison cotonneuse de Ba N’Daw, pourtant son cadet… Dans le désert, il avait une bonne hygiène de vie avec un régime alimentaire sain et faisait des cent pas d’une heure. En somme, il n’était pas dans de mauvaises conditions de détention, assure-t-il héroïquement, même si une exécution sommaire était possible à tout moment. Plus que sa santé physique, sa forme morale était encore plus surprenante. Il déclare qu’il veut d’abord observer et comprendre ; mais on a envie de lui demander plutôt ce qu’il nous ramène, lui, de son séjour chez les groupes armés, juste après l’installation des organes de la Transition.

Les députés URD à la « majorité présidentielle » : un 4e tour?

Sommes-nous en présence d’un scandale ou d’une démarche concertée ? Plus que les malversations du 3e tour et l’intronisation de Moussa Timbiné, c’est le ralliement à IBK des députés de l’URD qui a indigné les Maliens, opération présentée comme un achat de consciences, le 4e tour de l’élection législative du 29 mars 2020, d’autant plus répugnante que le chef était absent, enlevé depuis le 25 mars par des rebelles. C’est depuis ce moment, et non après la démission d’IBK et la dissolution de l’Assemblée nationale, comme on a voulu le faire croire à la télévision, que Soumaïla Cissé a cessé d’être « le chef de l’opposition » et, du coup,  perdu sa valeur, tant pour ses ravisseurs que pour le pouvoir. Car ce n’était ni pour être échangé contre des prisonniers, ni pour ses milliards, ni pour le convertir  à l’Islam qu’on l’avait enlevé: c’était à cause de sa position sur « le problème de Kidal » : n’avait-il pas boycotté le Dialogue National Inclusif de décembre 2019, fragilisant l’Accord d’Alger en souffrance depuis cinq ans?

Le CNSP va remplacer IBK, c’est affaire faite, grâce à la détermination de la communauté internationale, la France et la CEDEAO en tête. On voit là la raison de la libération de deux cents djihadistes confirmés (et non « présumés », c’est évident), qui vont rentrer dans le rang, puisque la large autonomie des régions du Mali, donc de l’Azawad, inscrite dans l’Accord d’Alger, c’est dans trois semestres, le temps que la Transition prenne fin. Après quoi, ce sera un cessez-le-feu de longue durée pour tout le Sahel. Ces combattants indépendantistes, qui agitent le drapeau noir du djihad pour faire diversion, ont terminé leur mission. Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, lui aussi, jette de la poudre aux yeux de la presse, ce 26 octobre, quand il menace les groupes non signataires de l’Accord de continuer à leur faire la guerre, au motif qu’ils auraient rejeté la paix : c’est quand même la France qui les a installés à Kidal en 2013 !  C’est bien depuis cette date que la capitale de l’Adrar des Ifoghas devient celle de la Coordination des Mouvements armés de l’Azawad, une place-forte qui, dès 2014, peut refouler les FAMA et  empêcher la visite du Premier ministre Mara . C’est par patriotisme que les députés URD ont rejoint la majorité présidentielle, vous dira-t-on, vu que le parti doit aider le RPM à sortir le pays de l’impasse. S’il avait été là, Soumaïla Cissé n’eût-il pas approuvé ses députés ? Justement, rien ne prouve qu’il n’ait pas, de sa captivité, donné de consignes, puisqu’il suivait les événements à la radio et communiquait avec sa famille, même si cette question n’a pas été posée par le journaliste dans l’interview du 9 octobre. Il vient même de déclarer, le 24 octobre, en visite Paris, que ses camarades ont agi comme il voulait : « Ce que j’ai souhaité, ils l’ont fait : c’est de rester dignes, d’être courageux et de travailler avec honneur. »  «Le problème sécuritaire », c’est essentiellement le « problème de Kidal », c’est-à-dire le problème de l’application de l’Accord d’Alger, et, aux dires du CNSP lui-même, la cause principale de l’action du 18 août 2020, menée avec l’élégance (la facilité) que l’on sait. Quand, en 2012, les femmes et veuves de militaires de Kati avaient harcelé ATT à Koulouba, provoquant la mutinerie et le coup d’Etat du capitaine Amadou Haya Sanogo, l’actuelle transition pouvait commencer !

IBK déposé

De la Mauritanie voisine, la Mauritanie d’Ould Gazouani, où se tient une réunion du G5 Sahel le 30 juin 2020, Macron somme IBK de s’entendre avec le M5, de le canaliser. En vain. On va donc laisser faire les militaires. Peut-être créer la même situation qu’en 2013, avec ATT? De toutes les façons les forces françaises sont toujours sur place. Au besoin, on pourra faire intervenir la force de la CEDEAO pour réinstaller le régime IBK : un scénario probable jusqu’à l’installation des organes de la Transition. Au moment où le Général Moussa Traoré, le contradicteur de Mitterand à La Baule en 1989, s’apprête à parler à la télévision pour faire peut-être une déclaration historique, il meurt. Il n’a peut-être pas supporté la déconfiture du CNSP, qu’il avait reçu, béni et qualifié de patriote. ATT était-il une carte possible ? Il ne semble pas avoir renoncé à jouer un rôle quelque part sur la scène politique nationale depuis son retour d’exil de la CEDEAO et son apparition-éclair au DNI en décembre 2019.

La Coordination des Mouvements armés de l’Azawad exige du CNSP d’être traitée en égale, elle qui, en mars 2020, a refusé d’accueillir le Premier ministre Boubou Cissé en tant que chef de gouvernement, donc sans drapeau malien ni hymne national, consignant dans un camp le bataillon reconstitué des FAMA. Et si, après le coup d’Etat du dix-huit août, ses hommes n’ont pas reçu l’ordre de marcher sur la capitale, c’est qu’elle répugne à frapper un homme à terre, selon l’un de ses officiels présent à Bamako. Devant tant de condescendance s’ajoutant aux ultimatums de la CEDEAO, Ba N’Daw ne peut retenir ses larmes lors de son discours d’investiture le 25 septembre. Car, déjà, l’organisation sous-régionale avait décrété un embargo aussi prompt qu’illégal, exigé la libération immédiate d’IBK, la nomination de civils à la tête de la Transition, dont la durée maximale est fixée à 18 mois. Entre visio-conférences et sommets des chefs d’Etat, son procurateur Jonathan Goodluck va et vient sans arrêt dans notre pays. Les vœux du peuple malien, une Transition militaire de trois ans, sont ignorés, les concertations nationales bâclées, le M5 RFP écarté ; au contraire, le CNSP se tourne vers les anciens du régime, au point qu’on se demande, dans l’opinion, si le départ d’IBK n’avait pas été une affaire arrangée ! Et on commence à plaindre les militaires : si, malgré tout, le gouvernement issu de la Transition les envoie en prison, qu’ils ne s’en prennent qu’à eux-mêmes, à leur naïveté! On a déjà vu ce scénario avec Amadou Haya Sanogo !

Soumaïla Cissé désavoue la IIIe République

Devant le Parlement européen, en 2013, il a parlé d’un « un centre névralgique », c’est-à-dire une capitale, puisque le Nord couvre les 2/3 de la superficie totale du pays, avec une forte identité culturelle, en dépit de la faiblesse numérique relative de sa population (10% de l’ensemble). Soumaïla Cissé distinguait même un Nord humide et le grand Nord aride et pauvre. Sa vision d’alors, avant l’Accord d’Alger, d’ « un centre névralgique », une grande capitale septentrionale, allait à l’encontre du projet sécessionniste de l’Azawad, quand on sait que Tombouctou ou Gao seraient bien mieux placées que Kidal, excentrée et rebelle, pour jouer ce rôle. On sait par ailleurs que son parti, l’Union pour la République et la Démocratie, a pour emblème la poignée entre une main blanche et une main noire, symbolisant la réconciliation (ou l’amitié) des deux races.

Donc, Soumaïla Cissé, dans son interview du 9 octobre 2020 sur l’ORTM, annonce la Quatrième République, tout en désavouant la Troisième, dont il fut pourtant un des plus farouches acteurs. La Troisième République a échoué, affirme-t-il : la faiblesse des taux de participation lors des élections lui ôte toute légitimité. Il faut trouver un autre mode de suffrage, dit-il. Dans les conflits, on se parle, tôt ou tard. Il faut ouvrir le dialogue avec les jeunes du Nord, entreprendre leur formation, afin de les soustraire à la  tentation du djihadisme. Il faut procéder à la décentralisation de l’administration, en donnant aux légitimités traditionnelles la place qui leur revient dans le développement de leur localité. Tout cela est connu, mais nouveau, venant de cet homme, qui avait bloqué la poursuite de la mise en œuvre de l’accord d’Alger. Il aura donc changé pendant sa détention. Libéré en ce tout début de Transition, il déclare son soutien immédiat aux organes mis en place. Il a dix-huit mois pour se préparer aux échéances futures, qui consistent à trouver le successeur des IBK, ATT et autres Alpha, tous partis en catastrophe, comme pour signer l’échec du mouvement démocratique. En effet, en 1997, Alpha, boycotté, dut avoir recours à un adversaire de fortune pour éviter d’être candidat unique à l’élection pour son deuxième mandat; son successeur ATT, à quelques semaines de la fin de ses dix ans, fut chassé par une mutinerie, tandis qu’IBK a fait l’objet d’une démission forcée avant la mi-mandat.

Ibrahima KOÏTA, journaliste