Journaliste d’investigation, d’analyse et de réflexion, spécialiste des questions économiques, sociales, culturelles, politiques, minières et environnementales, analyste des questions de géopolitique et de géostratégie, Nouhoum Keïta est un militant altermondialiste, cofondateur de l’AJPP ( Association des journalistes pour la promotion du professionnalisme), de l’Association Radio Libre Kayira où il travaille, depuis 27 ans, d’abord comme Rédacteur en Chef du Service des Informations, puis comme éditorialiste.

 

Nouhoum Keïta est formateur en Communication et animation radiophonique, Consultant Indépendant en Communication sociale depuis dix ans, Expert en développement de projets culturels, critique de cinéma et membre du Réseau des journalistes pour le soutien aux Initiatives Culturelles (RJPIC). Il reste également très impliqué dans les luttes politiques et sociales au Mali, mais aussi dans le renforcement des capacités techniques et le développement institutionnel des organisations Communautaires de base et des communautés rurales de Falé a, Cercle de Kéniéba, Région de Kayes. Dans ce texte, il tire le bilan du sommet de Pau. Lisez plutôt.
A l’issue du sommet de Pau qui a réuni autour du Président Emmanuel Macron, les Chefs d’Etat du G5 Sahel ont exprimé le souhait de la poursuite de l’engagement militaire de la France au sahel et plaidé pour un renforcement de la présence internationale à leurs côtés.
De clarification, Macron a tenté un jeu de poker-menteur qui lui a réussi sur toute la ligne devant les Chefs d’Etat du G5 venus adopter des résolutions trafiquées, dont les axes stratégiques sont loins de nous conduire à des succès certains. Analysons ces quatre axes.
1. La stratégie militaire envisagée, créer un état-major conjoint G5 Sahel-Barkhane et concentrer les efforts sur la zone des trois frontières en ayant comme cible prioritaire l’Etat Islamique au Grand Sahara, est un aveu du refus d’une franche collaboration de Barkhane avec les Forces armées maliennes des pays du Sahel. Et cela n’est pas du tout étonnant parce que Jean Yves Le Drian l’avait dès le départ, dit haut et fort à la presse française: Il est hors de question que l’armée française avise les autorités maliennes avant de mener ses opérations, ni de leur rendre compte après. Telle a été la volonté que la France a mise en œuvre depuis l’intervention de Barkhane à nos jours : se comporter à sa guise dans les pays au Mali et au sahel et sous la couverture juridique d’un accord soi-disant de coopération militaire qui interdit toute poursuite ni même interpellation sur d’éventuelles infractions, actes criminels et dégâts.
C’est donc tout naturellement que l’armée française agissait sans aucune coordination avec les armées nationales de la région parfois même, sans consultation ni informations. Deux cas suffisamment éloquents illustrent cette triste réalité: l’atterrissage à Werkela dans la Commune de Fana, d’un hélicoptère suspect qui a provoqué l’étonnement et l’indignation des populations, au point d’amener le ministre de la Sécurité Intérieure à adresser une lettre de protestation et la mise en garde du chef d’état-major des armées Burkinabè au Commandant des troupes françaises, contre le survol de l’espace aérien et des zones d’opération de l’armée sans en être informé au préalable.
Un « fait nouveau » : le renforcement d’une situation d’inféodation de nos armées nationales à l’armée française dont le premier pas a été au Mali, la nomination par le Président IBK, d’un officier français à l’état-major des FAMA comme Conseiller à la programmation des opérations. Avant cette nomination, la France avait mis une pression terrible sur les autorités maliennes pour obtenir les données précises sur les effectifs et autres des FAMA (personnels, matériels) sous le prétexte fallacieux de rationaliser et de rendre efficace la gestion des salaires, primes et autres, prétendant ainsi y mettre de la transparence et de l’efficacité. Aucun Etat souverain n’accepterait qu’une armée nationale intègre le commandement d’une armée étrangère ! D’ailleurs comment croire à la bonne foi de cette France qui, en Janvier 2013, a fait semblant de collaborer avec les FAMA pour libérer le territoire, mais qui, à l’entrée de Kidal, s’est retournée contre l’armée malienne pour la bloquer et l’empêcher de restaurer la souveraineté du Mali sur cette ville ?
a) Le fait d’afficher officiellement leur stratégie qui est de concentrer les efforts sur la zone des trois frontières, est manifestement de donner la possibilité à l’ennemi de se préparer en conséquence et d’anticiper en s’adaptant à la nouvelle donne et même à prendre des initiatives pour la contourner. On peut se poser la question de savoir s’il y’a la une réelle volonté de combattre l’ennemi, puisque les intentions ont été clairement annoncées. D’autant plus qu’un seul groupe armé, l’Etat islamique au Grand Sahara, est considéré comme « cible prioritaire ». On nous refile encore cette distinction arbitraire confuse et suspecte entre groupes armés non terroristes (rebelles) et groupes armés terroristes ou djihadistes qu’on doit uniquement combattre. Or, l’expérience a révélé au sahel, d’une manière incontestable, l’interpénétration, voire l’osmose de toutes ces catégories de groupes armés qui œuvrent à la déstabilisation de nos pays au profit des intérêts étrangers impérialistes.
b) De toute évidence, cette fameuse stratégie aura pour conséquences logiques de laisser libre champ aux autres groupes armés et leurs réseaux de trafics en tous genres (drogues, armes, cigarettes, hydrocarbures) sur les autres zones frontalières et régions intérieures. On sait déjà que ces réseaux de trafics son en même temps, des canaux d’informations et de moyens de déstabilisation des Etats par les puissances étrangères
2. S’agissant du renforcement des capacités militaires des Etats de la région, il ne s’agit qu’un rassemblement hétéroclite et incohérent de dispositifs qui ne pourront jamais s’agencer parce que d’une part, ceux qui existent déjà comme l’EUTM, ont un bilan douteux, en tout cas pas du tout convaincant, et les autres présentés comme des initiatives révolutionnaires ne sont que des coquilles vides. Etant donné que la France a échoué à mobiliser d’autres partenaires pour le financement nécessaire.
La question de la gestion et du contrôle des fonds (qui va gérer et comment se fera le contrôle ?) a mis en lumière l’hypocrisie de ce montage institutionnel et la fourberie de la France (qui agit en véritable rentier dans ce système) entrainant des divergences avec les pays du G5 Sahel en ce qui concerne les montants réellement perçus. Les propos du Président Roch Marc Christian Kaboré au cours de la conférence de presse sont édifiants.
Ainsi est passé sous silence, le projet souverain d’un fonds de 5 milliards de FCFA dont une première tranche d’un milliard dès 2020, engagée par les cinq pays du champ. Au lieu de travailler à renforcer et développer ce fonds, on procède par occultation et la technique de la fable.
3. Concernant les mesures politiques et administratives de restauration complète de la souveraineté du Mali sur Kidal, cette formulation indique de façon à peine voilée que le cas Kidal est imputable à nos Chefs d’Etat. Autrement dit, Kidal est un territoire interdit aux autorités maliennes, à l’Administration et autres services étatiques par la volonté des autorités maliennes. Parce que les autorités maliennes n’ont pas voulu. Et on les engage à réparer cette situation. Alors que l’Etat malien n’est nullement responsable. Cette situation a été sciemment créée par la France. L’Etat malien a plutôt manifesté sa volonté de ramener tous ces services, à Kidal. Tout le monde sait que la première tentative menée par le Premier-Ministre Moussa Mara a été sanctionnée par un bain de sang et des crimes odieux sur des représentants de l’Etat (préfet, sous-préfets, administrateurs civils) sous l’œil complice de l’armée française et de la MINUSMA. Non seulement la France cache sa trahison envers le Mali en se défaussant sur nos autorités, mais encore, elle charge nos chefs d’Etat d’une besogne qu’elle sait d’avance impossible sans la levée des goulots d’étranglement qu’elle a mis en place: rebelles armés contrôlant les régions de Kidal , à Tombouctou en passant par Ménaka, présence de la MINUSMA (dont la chaine de commandement est aux mains de la France) comme force d’interposition et Barkhane comme force d’appui encas de besoin aux rebelles terroristes-djihadistes armés. De qui se moque-t-on ? Comment un Etat peut dérouler sa chaine pénale et judiciaire sur un territoire qu’il a perdu ? Aucune disposition judiciaire ni aucune mesure de restauration de l’autorité de l’Etat ne sera possible tant que les groupes armés occupant le territoire concerné ne seront pas désarmés. Par ailleurs ce que la France veut cacher par cette supercherie, c’est le concept de « l’armée nationale reconstituée » qu’elle a imposée à l’Etat malien: à savoir une armée ethnique dont les effectifs seront composés à 80% de ressortissants des zones Nord. En clair les -rebelles- terroristes-djihadistes, touareg, maures, arabes qui détiennent les armes. C’est le désarmement du MNLA et de toute la CMA qui est voilé par cette résolution.
4. En matière d’aide au développement, on nous a ressorti la vieille rengaine de la nécessité de mobiliser les partenaires pour renflouer les fonds nécessaires à la résolution de la crise sécuritaire, territoriale et humanitaire. La manœuvre consiste tout simplement ici à légitimer et renforcer le rôle de leadership de la France sous le couvert de « délégation réciproque ». Dans la pratique, personne n’est dupe à ce sujet. Les Etats du G5 Sahel seront amenés à déléguer officiellement à la France, leur pouvoir de gestion des fonds collectés.
En conclusion, ce sommet a révélé son but caché : le renforcement de la présence française et le parachèvement de la mise sous tutelle complète des pays du G 5 Sahel dans les domaines sécuritaire, militaire et politique pour imposer sa volonté au profit de ses seuls intérêts.
Comme hier, la France n’a aujourd’hui nullement l’intention d’aider à trouver une solution à la mise en cause de l’intégrité territoriale du Mali et à l’insécurité des populations créée par les puissances impérialistes en instrumentalisant des groupes armés.
NouhoumKEITA

POINT DE MIRE
Afrique des défis internes nombreux
Les sociétés africaines ont à gérer un doublement de leur population et un triplement de leur population urbaine d’ici 2040. Elles doivent reconstituer leurs écosystèmes, réaliser les investissements collectifs et productifs nécessaires à la croissance et se repositionner positivement dans la division internationale du travail. Ces différents défis impliquent des progrès de productivité et une accumulation à long terme. Il est nécessaire de multiplier par plus de deux les rendements et par plus de trois la productivité du travail d’ici 25 ans. Il faut répondre au défi de la pression démographique, de la croissance urbaine, de la concurrence des agricultures protégées, de la libéralisation et l’importance des risques environnementaux. Dans des sociétés où l’Etat-Nation demeure en voie de constitution et où les réseaux personnels et les solidarités ethniques l’emportent sur l’institutionnalisation de l’État, la crise économique a renforcé sa décomposition. Dans certains cas extrêmes,elle a transformé l’économie de rente en économie mafieuse et de rapines. Dès lors, le futur de l’Etat conditionne le futur de l’économie.

SAGESSE BAMBARA
«Un homme jeune et riche n’a pas de père, mais il a une belle assurance. Sa fortune le met à l’abri du besoin et lui vaut de la considération et de l’influence : c’est pourquoi il ne se soucie pas de son père.»

L’Inter de Bamako