Au moment où il est question de mettre en place un pouvoir de transition au Mali, je juge utile de livrer humblement mes réflexions.

 

Pour l’intérêt du pays et celui des jeunes officiers qui ont accompli un devoir patriotique admirable, il faut que la transition soit dirigée par un civil. Je ne doute pas de la compétence de ces jeunes militaires. Ce qui est sûr, c’est qu’un homme, civil ou militaire, résiste très difficilement à l’ivresse du pouvoir, si pur et dur soit-il au début. L’appétit vient en mangeant, surtout qu’on est dans un pays où le griotisme constructif cède sa place au griotisme mercantile. Si un militaire veut s’éterniser au pouvoir son atout majeur est sa familiarité avec les armes et la machine militaire du pays. Alors il se crée inévitablement une sourde rivalité entre les militaires au sein des casernes. La soif de régenter d’un côté et l’envie de l’autre côté feront naitre un antagonisme farouche au sein de l’armée où l’on cherchera à s’éliminer, à se neutraliser. L’on oubliera l’essentiel et au bout du compte, c’est le peuple qui en ramassera les pots cassés. On a vu les Mobutu, les Bokassa et autres ailleurs. Au Burkina voisin, les capitaines Sankara et Compaoré étaient des proches et amis. Si Sankara était civil, peut-être qu’il aurait eu la chance de pouvoir appliquer ses nobles idées de patriote et panafricain

Au Mali, en 1968, la feuille de route clamée par les militaires putschistes était un plan triennal de redressement économique et financier. Ce régime qui est parti par suite d’un coup d’Etat a duré 23 ans, avec les résultats que l’on sait. Et depuis 1968 jusqu’en 1991, l’armée malienne a été privée du service de braves et valeureux soldats comme Dibi Sylla, Mamadou Sissoko, Alassane Koné, Malick Diallo et beaucoup d’autres qui ont disparu dans des conditions obscures.

Pour un dictateur civil la tâche est très compliquée puisqu’il est obligé de miser de façon aléatoire sur des militaires censés être de confiance. Quand le désarroi du peuple atteint un certain point, c’est le moment pour la grande muette de sortir de son silence et donner le coup salvateur.

Concernant le choix de civils pour la transition, je crois que l’opinion se trompe en demandant la mise à l’écart de tous les cadres qui ont participé aux régimes défunts. Il faut un discernement à ce niveau. Il y a des cadres compétents et intègres qui, pris dans un certain engrenage dans des régimes passés, n’ont pas pu se mouvoir et donner la pleine mesure de leur efficacité. Avec le changement de contexte, ceux-ci peuvent se racheter et faire œuvre utile. Parmi les cadres, il y a certains qui ont des antécédents sulfureux connus de tous. Ceux-là qui sont suspectés de s’être rendus coupables de détournements, de bévues et délits divers, ils sont connus et doivent être écartés. Il faut une équipe d’hommes compétents et intègres sous l’égide d’un technocrate civil reconnu par tous comme étant compétent et intègre. Les membres du CNSP occuperont les postes clés de la défense, de la sécurité, et l’administration du territoire. Il faut pour paraphraser Aimé Césaire, leur donner “la foi sauvage du sorcier” afin de mener à bien le combat pour la sécurité et l’intégrité de notre pays.

Concernant les jeunes, je suis d’avis qu’ils soient mis à contribution. Pour ce qui est du renouvellement complet de la classe politique, je suis un peu sceptique. Quelle que soit la valeur universitaire d’un jeune cadre, il a besoin de connaissances pratiques que seule, l’expérience peut fournir. Vous avez besoin encore de l’encadrement et des conseils des ainés.

Je souhaite que cette transition se prépare dans l’apaisement et la cohésion. Les membres du M5 RFP sont à féliciter et à remercier infiniment. Cependant, nous osons croire qu’ils ont mené cette guerre pour l’amour patriotique et non pour exiger des rançons. En tous cas, l’honorable Imam Mahmoud Dicko a été clair : Il affirme que sa mission est terminée et qu’il retourne dans la mosquée. Qu’il en soit infiniment remercié. Dans la cohésion et l’unité nous pourrons résister au chantage de la Cédéao. Il est clair que cette institution créée au nom des peuples et pour le bonheur de ces peuples se trompe de combat. Dans ses principes, elle sacrifie le fond à la forme. Que dira-t-elle et que fera-t-elle si très prochainement il devient impérieux et incontournable d’arroser les arroseurs ?

Elhadj Drissa Doumbia

(Ecrivain domicilié à Yirimadio Bamako)

Mali Tribune