Un proverbe latin dit: «Sublata causa, tollitur effectus» (La cause supprimée, l’effet disparaît). Il ne sera pas question pour nous ici de nous engager dans le rappel du palmarès combien riche du général défunt Amadou Toumani Touré dit ATT. Nous nous contenterons d’un bref rappel de quelques passages dudit palmarès de l’homme.

Rappelons donc que Amadou Toumani Touré (ATT) est né le 4 novembre 1948 à Mopti. Il faut dire que la vocation du jeune ATT lui avait ouvert les portes de l’École normale secondaire (ENSEC) de Badalabougou. De là, le voilà incorporé dans les rangs de l’armée malienne.

Au regard d’une carrière militaire prometteuse, ATT est envoyé en France pour y effectuer un stage de perfectionnement. Après ce stage réussi, ATT revient au Mali, le 8 décembre 1990. Le destin lui a valu d’être promu commandant du bataillon des commandos parachutistes de Djicoroni-Para. C’était le 11 mars 1991. À la tête des bérets rouges, ATT renverse le régime du général Moussa Traoré, le 26 mars 1991. Il est désigné par ses frères d’armes pour diriger le Comité de réconciliation national (CRN).

Ce comité a parachevé la mobilisation héroïque de tout un peuple dirigé par le mouvement dit démocratique. C’est ainsi qu’il a formé un front uni avec le Mouvement démocratique pour une gestion de la période transitoire vers un pouvoir démocratique. Cette fusion du CRN et du Mouvement démocratique a donné naissance au Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP). ATT est choisi pour diriger la transition en qualité du président et chef de l’État.

Le CTSP a ainsi organisé et réussi la conférence nationale qui a dressé tout le canevas de la transition. Un référendum s’est tenu sous l’égide du CTSP, le 12 janvier 1992. La nouvelle Constitution est promulguée par le décret N°92- 073/P-CTSP. La suite, on l’a connue: l’élection présidentielle démocratique a porté Alpha Oumar Konaré à la tête de l’État. Il faut dire que la transition qui venait de s’achever après quatorze bons mois de gestion de nos affaires a suscité un immense espoir en notre peuple travailleur.

La douceur avec laquelle ATT a transmis le pouvoir à Alpha Oumar Konaré nous rappelle fort bien ce que disait Lénine en son temps: ‘‘Les grandes questions de la nation se gèrent dans les coulisses’’. Cette transmission du pouvoir a conduit bien d’observateurs à penser à des clauses secrètes entre Amadou Toumani Touré qui a si facilement laissé le pouvoir à Alpha Oumar Konaré si heureux de le prendre. En son temps, une certaine presse avait prédit qu’au terme des deux mandats d’Alpha le pouvoir reviendrait à celui qui le lui avait prêté.

Le 5 septembre 2001, ATT a demandé sa retraite de l’armée. Il a obtenu cette retraite quinze (15) jours plus tard. C’était le 20 septembre 2001. Le voile était désormais levé sur l’entre deux (02) Amadou Toumani Touré-Alpha Oumar Konaré: ATT a fait savoir son intention de briguer la magistrature suprême du pays mais en qualité de candidat indépendant. Et comme on pouvait s’y attendre, il a remporté la présidentielle de 2002 contre Soumaïla Cissé.

Mais pour tout observateur de la scène politique nationale du Mali, il ne pouvait en être autrement non pas à cause du caractère visionnaire d’ATT, mais à cause que les partis politiques et les syndicats, à la recherche d’intérêts privés, avaient subi pendant le deuxième mandat d’Alpha Oumar Konaré un émiettement tout azimut. Comme si les félons avaient chassé toutes les abeilles de la ruche, contaminant à leur passage les autres partis politiques.

Il y eut bien d’œuvres à l’actif d’ATT, entre autres:

– D’abord, en candidat indépendant, il a embarqué avec lui la quasi-totalité de la classe politique malienne au nom du consensus et pourquoi pas de l’opportunisme politique !

– Les 1008 logements de Yirimadjo en commune VI du district de Bamako, les routes Bamako-Djidjéni-Kolonani, Kayes-Kidira (Sénégal), Bamako-Kourémalé (Guinée), Tombouctou-Goudam- Tonka- Diré, Bamako-Kangaba, Bougouni-Yanfolila, la construction, en 2006 du pont de Wabaria à quelques encablures de Gao, sont des réalisations à l’actif du président ATT.

– Réélu en 2007 contre IBK, ATT a réalisé et inauguré le 3ème pont de Bamako. C’était en septembre 2011.

Cependant un proverbe latin dit: «sublata causa, tollitur effectus» (la cause supprimée, l’effet disparaît).

Amadou Toumani Touré (ATT) a été chassé de Koulouba, le 22 mars 2012, par un groupe de jeunes militaires patriotes, non sans raison:

– ATT n’a jamais rendu publiques les enquêtes qu’il avait promises au peuple malien sur l’affaire de l’avion qui a été incendié à proximité de Gao après qu’il ait été vidé de tout son contenu. C’était en 2009.

Selon certaines sources, l’avion transportait de la cocaïne. C’est dire que le septentrion de notre pays était devenu un no man’s land sous les yeux du général d’armée ATT.

– Des rebelles dits Maliens en provenance du théâtre des opérations militaires de Libye contre Kadhafi ont été autorisés à entrer au Mali avec armes et bagages par ATT (ce grand général). L’argument justifiant cet acte peu reluisant de son blason était que si lui il les désarmait qui devait les défendre ? Drôle de question d’un général de guerre à un moment où le pays était déjà en proie à la rébellion et à l’insécurité ! En tout cas pour la petite histoire, le Niger a désarmé les siens.

– À propos de la délinquance financière, ATT avait coutume de dire qu’il n’entendait pas humilier les chefs de famille. Est-ce une des retombées de son pouvoir dit consensuel ? En  tout cas, sous ATT, il y a eu quarante-deux (42) milliardaires maliens. C’est dire que le cri de cœur de notre peuple, en 1991 comme sous ATT et même maintenant est et reste le kokadjè, malheureusement jeté à la poubelle par ATT au nom d’une morale de consensus. Il devrait plutôt savoir que ce consensus politique était tout sauf à l’avantage du peuple malien et des enfants du Mali qui fondaient tout leur espoir sur lui. ATT a feint d’ignorer cette triste réalité de la «nature humaine».

Aristote disait: «Les hommes obéissent bien mieux à la nécessité qu’à des paroles, à des châtiments qu’à des représentations. La loi seule a le pouvoir de les contraindre. On prend en aversion les hommes lorsqu’ils contredisent les passions, mais on ne hait point la loi.»

Il faut louer une mention particulière aux enquêtes qu’ATT promettait au peuple malien: il s’en est allé pour toujours, mardi le 10 novembre 2020 sans que l’on sache la moindre vérité sur l’incendie de l’avion rempli de, nous ne savons quoi, encore moins sur la mort tragique, le 30 septembre 1993 de Siaka Koné et compagnons dans un accident de parachutage. Que ces commandos rompus à leurs tâches puissent mourir de la sorte, c’est curieux !

En tout cas, la rébellion de 2011-2012 a été minutieusement préparée sous les yeux de notre général de guerre, médiateur dans bien de conflits en Afrique.

– Le document intitulé ‘‘ATTcratie’’ dit long sur la gestion calamiteuse du pouvoir par ATT. En tout état de cause, Abdoulaye Tamboura a écrit dans son ouvrage intitulé ‘‘Le conflit touareg et ses enjeux géopolitiques au Mali’’: «Au Mali, la fracture commencée, en 2012, est née, semble-t-il de la rencontre de facteurs de géopolitique interne et externe, au-delà d’une lecture purement internationale de la crise (souvent trompeuse). N’y a-t-il pas un phénomène d’usure des institutions dont l’immobilisme de la présidence d’Amadou Toumani Touré (ATT) a été le symbole et l’illustration ?»

La construction de routes, de ponts, et de salles de spectacles participent certes au développement national, mais la lutte implacable contre les déprédateurs du tissu socioéconomique national est incontestablement l’œuvre la plus utile et la plus salutaire que devait accomplir Amadou Toumani Touré, depuis la transition, en 1991-1992, pour que les enfants du Mali qui ont donné leur vie pour extirper notre pays de la bamboula des sangsues du peuple travailleur soient récompensés même à titre posthume, pour que ces enfants ne soient pas des sacrifiés pour la faillite que nous connaissons aujourd’hui de notre pays.

Tout compte fait, la ‘‘démocratie’’ malienne dont ATT fut un artisan majeur paraît clairement aujourd’hui aux yeux de tous les patriotes comme un bluff. La montagne de la ‘‘démocratie’’ au Mali a accouché d’une petite souris.

Ainsi dit une célèbre locution latine : «Parturiunt montes, nascetur ridiculus mus» (Les montagnes sont en travail: il en naîtra une souris ridicule).

Dors en paix mon Général !

Fodé KEITA

Source:  Inter De Bamako