La crise sécuritaire qui secoue le centre du Mali a provoqué ces derniers mois une dégradation de la situation humanitaire dans les régions de Mopti et Ségou, où, selon le Bureau de la Coordination des affaires humanitaires des Nations Unies au Mali (OCHA), des milliers de personnes seront en insécurité alimentaire dans les prochaines semaines. Insécurité grandissante, conditions de vie précaires, réserves agricoles épuisées, hivernages perturbés, déplacés massifs, le centre du Mali n’a jamais été aussi proche d’une crise humanitaire sans précédent et dont les conséquences pourraient être lourdes pour tout le pays. Si des actions sont en train d’être menées pour éviter le pire, la situation est pour l’heure très préoccupante.

 

« Durant la période de soudure, plus de 256 000 personnes seront sévèrement affectées par l’insécurité alimentaire, tandis que 668 000 autres seront sous pression dans la région de Mopti, où se trouvent environ 46% des personnes en situation de crise ou d’urgence au Mali », prévient le dernier rapport de situation du Bureau de la Coordination des affaires humanitaires des Nations Unies au Mali, en date du 6 mai 2019.

Mais déjà, selon les résultats du « Cadre harmonisé » de mars 2019, la crise alimentaire touche actuellement plus de 187 000 personnes et en menace 414 000 autres.  Elle s’est accentuée dans le centre du pays en raison de la perturbation des activités agro-pastorales des populations et de la libre circulation des personnes et des biens, dues essentiellement à l’insécurité, notamment à la menace djihadiste de plus en plus forte.

Situation critique

« Plusieurs dizaines de villages dans les cercles de Bankass, Koro, Bandiagara et Douentza n’ont pas pu cultiver pendant deux hivernages successifs et le cumul du déficit céréalier place systématiquement de nombreuses familles, déplacées ou pas, sous la menace de la famine », indiquait un document de presse de l’association Dogon vision début mai.

La situation au centre du Mali perturbe les circuits des marchés et provoque l’absence de cultures vivrières, mais elle affecte également la mobilité des personnes et des animaux, entrainant ainsi des mouvements inhabituels de populations.

En une année, le nombre de personnes déplacés internes dans la région de Mopti a explosé. Selon la Direction nationale du développement social, à la date du 27 mai 2019, il était de 49 663 personnes, réparties entre les cercles de Bandiagara, Bankass, Djenné, Douentza, Koro, Mopti, Tenenkou et Youwarou.

Victimes pour la plupart des conflits intercommunautaires qui secouent le centre du pays, ces déplacés font face à une forte dégradation de leurs conditions de vie, au point que l’accès à certains services sociaux de base, tels que l’éducation pour les enfants et la disponibilité de l’eau potable et des services nutritionnels est  fortement remis en question.

« Les ménages déplacés ont besoin d’un important soutien, car ils ont généralement peu accès à des moyens de subsistance et disposent d’une capacité d’adaptation limitée. Les personnes actuellement déplacées ne peuvent plus cultiver leurs terres, impactant ainsi leurs conditions de vie futures », relève Silvia Caruso, Directrice et Représentante du Programme alimentaire mondial (PAM) au Mali.

« La fourniture d’une aide alimentaire d’urgence ne sera plus possible dès le mois de juillet, moment le plus critique de la saison de soudure. Un montant supplémentaire de 18 millions de dollars est dès à présent nécessaire pour assurer une réponse jusqu’à la fin de cette période », ajoute- t-elle.

Causes multiples

De nombreuses causes expliquent la situation plus que jamais déplorable dans laquelle se retrouve aujourd’hui le centre du Mali. L’insécurité qui y règne et qui contribue essentiellement à la dégradation de la situation humanitaire est le résultat de l’accumulation de plusieurs facteurs.

« À l’origine, cette crise est liée à la gestion des ressources naturelles. Les deux types de populations que sont les agriculteurs et les éleveurs cohabitent au centre du Mali et il leur est demandé de se partager et d’exploiter le même espace. L’éleveur tenant  à son bétail et l’agriculteur à sa terre, les incompréhensions ne manquent pas », explique Adama Diongo, Président du collectif des associations des jeunes du pays dogon.

Pour lui, si par le passé, les ancêtres avaient toujours su trouver les arrangements pour que ces incompréhensions ne dégénèrent pas, aujourd’hui, d’autres acteurs, plus radicaux sur le terrain, interfèrent dans les moments de frustrations entre communautés et sont en posture de commandement pour multiplier les exactions. « En plus de cela, il faut relever la faiblesse de l’État malien dans la zone. Il ne contrôle pas la situation et laisse libre cours aux attaques », ajoute-t-il.

Le secteur est devenu le centre de toute la problématique humanitaire depuis 2017, en raison du problème sécuritaire qui s’est progressivement déplacé du nord vers le centre, surtout dans la région de Mopti.

« Il y a le banditisme armé et la criminalité ambiante, sans oublier l’état de siège imposé à certaines communautés. Tous ces éléments empêchent les populations de circuler librement et de mener leurs activités économiques », pointe Ibrahima Sangaré, Directeur national du développement social.

Quelles réponses ?

Pour faire face à la situation, le gouvernement du Mali, en collaboration avec ses partenaires, et de nombreuses ONG et associations sur le terrain conjuguent leurs efforts pour un retour à la normale dans le centre du pays.

L’État vient en aide aux populations touchées à travers divers appuis, dont le renforcement des mesures sécuritaires pour contrer les bandits armés et l’enregistrement des déplacés pour mieux leur porter assistance.

« Déjà, plus de 500 tonnes de mil et 255 tonnes de riz ont été distribuées aux populations victimes de la crise au centre et des actions de sensibilisation sont en cours pour permettre aux résidents de rester sur place, pour encourager le retour des populations déplacées dans des zones de provenance sécurisées », déclare M. Sangaré.

Pour sa part, le Collectif des associations des jeunes du pays dogon, créé il y a un an, s’est fixé comme objectif de contribuer à l’avènement de l’apaisement au centre et mène des actions pour venir en aide aux déplacés internes.

« Depuis que nous avons commencé, nous avons pu récupérer une cinquantaine de tonnes de céréales, que nous avons pu redistribuer dans la région de Mopti. Plusieurs donateurs se sont manifestés et nous ont apporté des céréales et d’autres produits de première nécessité », indique Adama Diongo.

Par ailleurs, la France est également attentive à la situation humanitaire au centre du Mali. Le 9 avril dernier, l’ambassadeur Joël Meyer a signé deux conventions d’un montant d’environ 1 milliard de francs CFA au bénéfice de plus de 65 000 personnes dans les régions de Mopti et Tombouctou.

Ce financement, alloué à deux projets, l’un porté par le PAM et l’UNICEF et l’autre par l’ONG Solidarité Internationale, s’inscrit dans les engagements français au titre de la Convention internationale relative à l’assistance alimentaire.

Le projet « Assistance alimentaire et nutritionnelle aux populations vulnérables au centre du Mali », d’un montant de 656 millions de francs CFA, permet des transferts monétaires aux personnes déplacées internes et assure le dépistage et la prise en charge de la malnutrition aigüe, modérée et sévère pour 5 000 enfants dans la région de Mopti.

Selon le Service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France au Mali, il « vient de débuter et l’identification des bénéficiaires est en cours, à travers un processus communautaire basé sur des critères de vulnérabilité à l’insécurité alimentaire ». Un autre programme, dédié au cercle de Bankass et mis en œuvre par l’ONG Première urgence internationale a également été financé récemment.

Malgré les différentes mesures prises, l’horizon ne semble pas près de se dégager. Les besoins en matière d’assistance saisonnière et d’urgence sont loin d’être couverts et l’aide aux personnes en situation de crise alimentaire et nutritionnelle, y compris les déplacés internes, risque d’être fortement réduite. « Aujourd’hui, nous craignons une grande famine. Les villageois n’ont pratiquement plus rien, les réserves de vivres sont épuisées et des greniers ont été brûlés », s’inquiète M. Diongo.

Journal du mali