Bamako, 03 janvier (AMAP) Ce lundi, 25 novembre, marché des bananes (Namassa Dankan). Comme tous les matins, Ici, la détermination est féminine. Les passages étroits, qui séparent les magasins des grossistes, grouillent de commerçantes au détail. La cohue, sans précipitation, se déplace dans tous les sens.

Les revendeuses, arrivées tôt à la bourse des bananes, sont pressées de regagner le centre-ville. Elles sont chargées de régimes de bananes, de melons, d’oranges. Les retardataires sont reconnaissables à leur plateau coincé sous le bras. Elles bousculent tout le monde dans les étroits passages. Elles ont hâte d’arriver au stand de leur fournisseur habituel.  Dans ce souk, il n’est pas aisé de se frayer un chemin. Pour se faire entendre, tout le monde, clients, vendeurs, crie.  « C’est mon tour ! ». « Cédez-moi le passage ! ». « Dans quel sachet je mets tes achats ? ».  « Ne me bouscule pas ! ».

Beaucoup de jeunes femmes rurales, venues en exode à Bamako, deviennent des vendeuses ambulantes de fruits de saison. Elles sont propres et bien habillées dans les rues, pour attirer la sympathie de la clientèle. Difficile de convaincre ces femmes de m’accorder deux ou trois minutes d’entretien sur le commerce de la banane. Je guette les allures des clientes. Je m’approche de celles qui affichent une mine sereine. Je me dis que celles-ci sont indulgentes et qu’elles seront gentilles de répondre à deux ou trois questions. Ma tactique se révèle efficace. Deux sœurs ressortissantes de Koro, Ramata et Awa Tolo, acceptent de m’accorder quelques minutes de leur précieux temps.  Toutes les deux sont mariées. Elles se partagent une caisse de banane chaque jour. « Le prix de la caisse de 30 kg oscille entre 4.000 Fcfa et 15.000 Fcfa, selon la taille des bananes », explique l’aînée Ramata. Depuis 5 ans, ce commerce apporte, à chacune, un bénéfice journalier de 2.000 Fcfa.

Les deux jeunes femmes dogon sont dynamiques et pleines de vie. Elles affrontent, toute la journée, sourire aux lèvres, les personnes auxquelles elles proposent leur marchandise. Elles ne rentrent jamais à la maison sans avoir écouler leur stock. Il y a une bonne entente entre les deux sœurs. La cadette portait au dos le bébé de sa grande sœur, au moment de notre entretien, en plus du poids de la marchandise sur la tête.

La cadette nous confie : « Nous visitons les places publiques et les marchés de quartiers de Bamako pour vendre la marchandise. Ce travail est pénible. Mais nous sommes sympathiques. Nous sommes arrivés à créer une chaîne de clients fidèles. Ils attendent notre passage ». Les deux sœurs participent à la charge du foyer. Elles font, de temps en temps, plaisir aux parents restés au village, en envoyant des cadeaux et de l’argent.

La grossiste Aminata Diakité décharge, au cours de la semaine, plusieurs sacs de melons et d’oranges sur le marché de Bamako. Elle achète ses fruits à Ségou, Sirabolola, Banamba. « Les grossistes me cèdent cinq melons à 500 Fcfa. Je revends quatre à 500 Fcfa. Mon bénéfice est le prix de la vente d’un melon sur cinq. Pour gagner dans ce commerce, il faut être rapide et très compétitive dans l’écoulement des produits. Car ils sont périssables. Et si c’est le cas, on perd beaucoup d’argent », affirme-t-elle. Cette mère de deux enfants, d’une trentaine d’années, est consciente de son rôle éminent dans son foyer. Tous les jours, elle participe aux dépenses pour faire bouillir la marmite. Elle s’assume et, pour elle, cette contribution est un acte responsable pour la stabilité de son foyer.

Le plus grand souhait de Bono Coulibaly  est de se faire une place au soleil à Bamako, grâce à la vente ambulante de fruits. Elle est âgée d’une cinquantaine d’années. Elle porte tous les jours, sur la tête 30 kg de fruits de saison depuis ses 12 ans. Ce matin, comme des dizaines de femmes, elle attend devant un camion de 10 tonnes pour être servie.   L’infatigable Bono avoue que, pendant sa jeunesse, elle n’ambitionnait pas de se faire une place sur le marché. C’était la rapidité d’écouler la marchandise qui comptait.  Mais elle n’est plus jeune. La mère de sept enfants qu’elle est devenue, a confiance en ses capacités de procurer le pain quotidien à sa progéniture. La mère poule a déjà prévenu ses enfants de son envie de « prendre sa retraite ». Elle encourage ses garçons adolescents de persévérer dans l’apprentissage du métier d’électricien et de chauffeur qu’ils ont librement choisi. Ils seront adultes dans deux ans et pourront prendre la relève. « Je n’arrive plus à écouler tout mon stock. Ce commerce de détail alterne les bons et les mauvais jours. La perte est énorme par ce que les fruits pourrissent vite. Nous ne connaissons aucune technique de conservation que nous pouvons acheter avec nos faibles revenus», a déploré Bono Coulibaly.

Le tenace grossiste Abdoulaye Diarra est dans cette activité depuis 16 ans. Tous les jours, il gère au mieux de leurs intérêts une clientèle toujours pressée, et ses trente employés. Il écoule vingt tonnes (20) de fruits de saison, chaque semaine. Ces marchandises lui viennent du Burkina Faso, de la Côte Ivoire  et  du Mali.  Il juge que la quantité de fruits maliens est insuffisante dans son stock. «  Je vends des bananes, ananas, oranges. En ce moment nous vivons la saison  de la papaye solo’, dit-il.

La difficulté dans ce business se situe au niveau du dédouanement. Avant, on acquittait le droit de passage. Maintenant, les cargaisons de fruits importés sont dédouanées. Et c’est cher. Plusieurs taxes sont payées sur le trajet Zégoua-Bamako. A  l’entrée de la capitale, le camion est bloqué pendant près de 22 heures.  Cette longue attente détériore une grande quantité de fruits. Plusieurs  millions de Francs Cfa partent en fumée. Les autorités douanières sont insensibles à nos doléances jusqu’à présent», s’indigne-t-il.

Le président du Syndicat  des vendeurs de fruits, Bourama Diarra, et son vice-président, Bourama Kaba Diakité, sont, tous les deux, à la tête d’une entreprise familiale. Ils ont succédé à leurs pères qui avaient, eux aussi, succédé à leurs pères. Les récoltes maliennes ne suffisent pas pour couvrir les besoins du pays.  Ces grossistes sillonnent la Côte Ivoire, le Burkina Faso et la Guinée Conakry. Ils y achètent des fruits  pour combler le déficit du marché malien.

Par ailleurs, ces grossistes assistent financièrement et matériellement les agriculteurs maliens. Ils approvisionnent les vergers en engrais. Ils les dotent en motos, en pompes hydrauliques, en échange de produits agricoles. En leur qualité de responsables syndicaux, ils gèrent les litiges entre les commerçants, les clients, et les fournisseurs. « En cas de vol, l’accès du marché est interdit aux coupables», témoigne le président du syndicat du marché des bananes.

Depuis 30 ans, la mère Mariam Diakité officie sur cette aire de vente. La responsable vénérée porte un tee-shirt blanc au col vert au moment de notre entretien. Elle est installée sous un grand manguier et trône au milieu de centaines de cartons d’ananas. Elle révèle en écouler entre 30 et 40, par jour.

Elle s’occupe, également des questions des femmes, particulièrement, des litiges autour des tontines. Cette femme corpulente au regard perçant impose le respect. Avec sérénité, elle assume son rôle de leader. « Quand des problèmes surgissent entre les vendeuses ou entre les commerçantes et les clients, je les écoute et les ramène à la raison, sans parti pris. Je restaure, ainsi, la paix dans notre marché. Sans la paix, il y a pas de prospérité », affirme-t-elle.

MS/MD (AMAP)