ALPHAMOYE SAMASSE, MAIRE DE LA COMMUNE URBAINE DE DJENNÉ

« Une crise alimentaire aiguë menace les villages environnants de Djenné »

Conséquences de l’insécurité, situation économique sur place, courage des populations etc. ; Alphamoye Samasse, le maire de Djenné la Mystérieuse, revient, dans cette interview, sur les périls et les défis auxquels sa localité fait face au quotidien.

 

 

Les Echos : Comment analysez-vous la situation de la ville de Djenné en ce moment ?

Alphamoye Samasse : La commune urbaine de Djenné compte dix villages pour 38 575 habitants.  Effectivement, au niveau du cercle de Djenné, l’insécurité est tenace. C’est le cœur meurtri que nous voyons très souvent Djenné faire les gros titres de la presse à cause du tableau sécuritaire non-réjouissant qui y prévaut.

 

Les Echos : Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

A.S. : 240 grands ruminants ont été enlevés dans le village de Niala. Au niveau de Ballé Seyna, il y a eu 600 têtes de gros ruminants et plus de 1000 têtes de petits ruminants enlevées. A Yentéla aussi, il y a eu l’enlèvement de plus de 100 têtes de bétail. Et le village de Kéra, il y a moins d’une semaine, a vécu le calvaire d’une attaque terroriste. L’attaque de Kéra a enregistré deux morts et des blessés. Pour vous dire que la commune traverse des moments pénibles. Pour qui connaît le cercle, nous sommes à majorité des cultivateurs et des éleveurs. La saison des cultures approche à grands pas or les razzias des jihadistes connaissent une recrudescence. En réalité, nous vivons dans la psychose. Pour dire que nos paysans sont dépouillés de tous leurs biens par les terroristes. Les villages environnants de la commune urbaine de Djenné ont été sérieusement étouffés par la pression jihadiste. Nos populations d’ici souffrent sur tous les plans.

Les Echos : Cette situation vous laisse-t-il seulement le temps de penser aux chantiers de développement local ?

A.S. : Il y a de réelles difficultés à ce stade, au point que nous sommes largement bloqués dans la mise en œuvre des projets et politiques locaux de développement. Compte tenu de la situation que le Mali même vit, les bailleurs de fonds ont majoritairement plié bagages. Cela est un véritable handicap pour le développement des collectivités. Malgré cela, nous ne baissons pas les bras. Au niveau de la commune urbaine, nous sommes en chantier pour construire une nouvelle mairie sur fonds propres. Voyez-vous, nous sommes dans une Mairie construite en banco, nos locaux ne sont pas commodes. Il y a aussi la construction d’un terrain de basket avec toutes les commodités requises. Pour ledit terrain, le financement nous est venu d’un natif de la ville appelé Amadou Traoré. Nous nous battons pour continuer avec d’autres chantiers car le développement de Djenné est notre obsession. Mais il faut reconnaître que l’insécurité compromet énormément nos ambitions.

Les Echos : Qu’êtes-vous en train d’envisager pour relancer l’activité économique à Djenné, vu que les touristes ont déserté la localité ?

A.S. : Ce qui est sûr, tant que l’insécurité demeure, aucun développement n’est possible. Pour pallier la détérioration générale qui frappe notre zone, nous avons des partenaires qui aident nos jeunes et les femmes à mener des activités lucratives. Nous avons des partenaires tels que : Actif, Merci Corps, OCHA, World vision, PAM, PNUD, WHH et ASG, qui nous ont beaucoup soutenus dans ce sens. Même présentement, j’ai une liste de jeunes financés par l’ONG ACIF. Cette aide est multiforme. Nos partenaires nous aident dans tous les domaines.  En dépit de la persistance de l’insécurité, certains de nos partenaires ne nous ont pas lâchés. En matière de développement, tout est important. Nous espérons que la paix tant attendue reviendra très vite dans le cercle. Face à cette inquiétude, notre arme principale constitue la prière. Nous, habitants de Djenné croyons fermement à nos prières de tous les jours. Nous avons la ferme conviction que cette crise sera surmontée. Nous avons une population très résiliente. Nous déplorons les écrits de certains journaux de Bamako qui ont tendance à décrire aujourd’hui Djenné comme une ville absolument invivable. Ces dires et ces descriptions sont faux. Malgré l’insécurité qui nous environne, tout le monde vaque à ses affaires. Cela veut dire que l’activité économique fonctionne et se maintient, même le circuit touristique est interrompu. Djenné est toujours grouillante de l’hyperactivité des acteurs et actrices de l’informel. Cela nous réconforte. Le plus éprouvant est surtout la précarité céréalière et économique qui s’étend dans les villages alentour.

 Les Echos : Après les événements de Mourrah, il se dit que la population sur place a déserté. Confirmez-vous cela ?

A.S. : Je n’ai pas été sur le terrain pour le constater. Mais, dans ces derniers temps, nous avons enregistré des déplacés venant de Mourrah. Et, aujourd’hui même [7 mai 2022], j’ai été remettre aux déplacés les kits préliminaires tels que des bouillards, des seaux et des savons, grâce au soutien de notre partenaire, l’ONG ASG. Pour vous confirmer qu’ils sont là avec nous. Pour le moment, les déplacés sont hébergés par des familles d’accueil. Egalement, pour leur prise en charge, les aides de notre partenaire OCHA et celles d’autres ONG sont à saluer.  Présentement, nous avons enregistré plus de 39 ménages déplacés de Mourrah, mais il y a toujours des arrivées. Avant les déplacés de Mourrah, il y avait déjà d’anciens déplacés qui sont aussi aidés par nos partenaires. Nous invitons le gouvernement à nous aider à soulager nos populations qui ont été dépouillées de leurs bétails. Toutes les aides en natures ou en espèces sont les bienvenues pour nos villages qui sont en détresse. Dans quelques mois, si rien n’est fait, une véritable crise alimentaire touchera les villages environnants de la ville de Djenné.

Les Echos : Qu’attendez-vous des autorités centrales ?

A.S. : D’abord, nous remercions fortement les autorités de la Transition pour les efforts déployés. Ces autorités font face à une crise multidimensionnelle. La crise que nous vivons est en effet très compliqué. Mais une chose est certaine : on ne pourra pas faire taire les armes sans avoir des négociations et un dialogue profond entre les protagonistes. Je crois que nous sommes tous des Maliens. Nous sommes donc tenus à un moment de nous parler afin qu’il y ait la paix. Toutes les guerres du monde ont fini par des dialogues et des négociations ; je suis sûr que le cas malien ne fera pas exception. Nous n’excluons pas totalement l’intervention militaire, mais, souvent, il faut privilégier le dialogue pour préserver les populations. Nous invitons les autorités de la Transition à privilégier les négociations. En même temps, nous saluons à juste titre les interventions de l’armée qui ont eu lieu au niveau du cercle et qui ont apporté un relatif soulagement aux habitants.

Les Echos : Quel appel avez-vous à lancer à la population de Djenné ?

A.S. : Je demande à toute la population de Djenné et environnants d’être vigilante, aucun détail ne doit être laissé au hasard. La population de Djenné est une population résiliente et très tenace. Je demande aussi, et de manière pressante, aux uns et aux autres de cesser la stigmatisation. Aux jeunes, je leur dis de ne pas publier sur les réseaux sociaux tout ce qu’on voit ou entend. Laissons les canaux officiels publier les événements. Nous déplorons aussi les écrits de certains journalistes sur la ville. Souvent, ces écrits n’ont aucun fondement réel.

Que Dieu bénisse la ville de Djenné et environnants ainsi que l’ensemble du peuple malien.

Interview réalisée par

Mamadou Komina

depuis Djenné

 Source: Les Échos- Mali