Nous l’avions déjà souligné, mille monologues ne font pas un dialogue. Le Triumvirat sous la houlette du pouvoir IBK, n’a pas pu éviter que le « dialogue national inclusif » demandé à corps et à cri par les Maliens ne devienne des monologues parallèles, entre la majorité présidentielle, l’opposition et la société civile non capturée.

Aucune des conditions indispensable à un dialogue national inclusif n’est remplie. Tout le processus en cours est une fuite en avant tendant à mettre la charrue devant les bœufs. Nulle part cette démarche n’a été le meilleur moyen de labourer un champ.

On en veut pour preuve la question de l’indépendance du Triumvirat. La qualité personnelle de ses membres n’est pas en cause. Mais c’est dans un manque d’égards total à l’ensemble des forces sociales et politiques pour le choix des personnalités devant conduire le dialogue que l’opération menant au choix a été effectuée. Ses membres ont été unilatéralement désignés et installés, par le Chef de l’État sans aucune consultation préalable. Les Maliens ont été invités à rejoindre le Triumvirat après. A présent, les citoyens restent sous informés quant à la nature de sa mission. Ce qui fait que l’offre de crédibilisation, et peut-être même de légitimation de l’action de cette structure, reste à faire.

C’est pourquoi, il est devenu essentiel que le Triumvirat tranche lui-même très clairement la question de son indépendance vis-à-vis du pouvoir en place et la souveraineté des assises à venir. Son statut même dit de « facilitateur » ne connait que des érosions au quotidien du fait d’un gouvernent boulimique et invasif dans le processus qui mène aux assises.
Le pouvoir IBK à travers l’Administration et les institutions a pris tout le contrôle de tout le processus. La Phase nationale n’est pas discutée avec les délégués venus de la base, c’est un « comité de censure » constitué des institutions publiques en perte de légitimité qui officie. Pire pour un dialogue politique aucune place n’est faite à l’opposition démocratique et républicaine toutes tendances confondues, celle-ci est fondue dans un panier à crabes où toutes les pinces sont de la couleur du gouvernement.

Dans le projet des Termes de Références, nulle part, il n’est fait mention du processus décisionnel, c’est-à-dire comment les décisions vont être prises au sein du dialogue. Est-ce par «consensus» ou par «vote» et, dans ce dernier cas, à quelle majorité ? Aucune référence claire du caractère contraignant et exécutoire des décisions du dialogue n’est soulignée.
Quant au débat de fond, il n’est même pas question ni pour le gouvernement ni pour le Triumvirat de s’interroger sur l’opportunité d’une révision constitutionnelle. Cette perspective est donnée pour acquise. Il en est de même de la nécessaire relecture de « l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger», mais complètement ignorée dans les Termes de Références.

Le dialogue est menacé…

Finalement, il s’avère que le seul objectif du dialogue à la sauce IBK, est tout simplement la stratégie de compromission qui mène à la transcription de l’accord d’Alger 2015 dans la constitution du Mali. Tous les discours et gesticulations, toutes les petites manœuvres de sous-préfecture visent à maquiller cette réalité.

Dans un pays où plus de la moitié du territoire national échappe au contrôle du pouvoir central, participer à l’accomplissement d’une telle perspective, est en soi un acte de trahison nationale.
L’équation de la ville de Kidal est emblématique à cet égard. En effet la récente prise de position du Président Mahamadou Issoufou sur « le statut de Kidal… menace pour la sécurité intérieure du Niger » est une illustration parfaite de l’atteinte intégrale à l’intégrité territoriale du Mali. La ville de Kidal reste une ville occupée par l’ex-rébellion, d’où des mouvements signataires des accords de paix d’Alger, en connivence avec les terroristes posent des actes non seulement contre notre pays, mais également à l’encontre de pays voisins. Le risque que le « dialogue politique inclusif » à la sauce gouvernementale en cours ne légitime et aggrave ce contexte est réel.

Le contexte du Mali ! Un État affaissé en guerre, une nation qui se délite, une classe politico-religieuse en plein épanouissement. C’est dans ce décor surréaliste d’une armée sous-équipée avec des Généraux milliardaires qu’est confiée notre sécurité collective, notre défense nationale. Un Etat invertébré totalement assiégé par des revendications catégorielles et/régionales voudrait se distraire dans une opération de révision constitutionnelle pour plaire à on ne sait quelle force extérieure contre la survie de notre pays.

La surdose de malgouvernance qui a conduit à la socialisation de la corruption et surtout rendu l’Etat invertébré, est l’instrument aux mains du Pouvoir IBK qui méthodiquement organise la faillite du pays en détruisant la vitalité de toutes ses institutions de médiation sociale et de toutes ses institutions nationales. Dans cette démarche la menace terroriste une réalité, est tout de même instrumentalisée pour justifier de l’Etat, son reniement de toutes ses responsabilités dans le domaine de la sécurité et de la défense de l’intégrité territoriale. Pire des conflits intercommunautaires sont quant à eux instrumentalisés, voire organisés à des fins de conservation du pouvoir. Ce faisant il a mis le pays et la nation en péril, c’est pourquoi aucune solution de sortie de crise ne peut se faire avec la prééminence du Pouvoir IBK.
Le Pouvoir IBK n’a plus rien à offrir à une société malienne, traumatisée qui assiste chaque jour à la géographie de la présence de l’État dans le pays se rétrécir comme un pot de chagrin. C’est pourquoi il faut s’interdire d’écouter et d’entendre le cri du ventre de tous les grillons qui entament le même refrain à qui mieux, sur la nécessité d’un pacte autour de IBK pour sauver un Mali dans lequel le problème majeur est justement le manque de Président.
Il est dommage que le Pouvoir s’épuise à reproduire dans le processus du dialogue national, les mêmes mensonges qu’à la signature de l’accord d’Alger 2015. A ce rythme, il faut donc s’attendre aux mêmes résultats.

Au moment où le dialogue est menacé dans son esprit, dans ses ancrages et dans son élan, il est urgence et salutaire que le peuple renforce et consolide ses actions, sans se départir de son caractère pacifique. De plus en plus de larges secteurs de la société civile et des acteurs politiques rejettent le dialogue prôné par le pouvoir. A ce rythme le temps du dialogue pourrait être très vite dépassé.

Les Maliens se sont longuement révoltés tout au long des cinq dernières années, il urge pour eux de doter le pays d’institutions et de direction nationale crédible et vertueuse.

Souleymane Koné

Ancien Ambassadeur

(L’Aube  1091 du lundi 16 septembre  2019)

L’Aube