Thierry PERRET est un journaliste qui connaît particulièrement le Mali, où jeune journaliste d’alors, il a succombé à l’enthousiasme de  » cette révolution … qui mettait fin à deux décennies d’un régime répressif « . Le mirage Amadou Toumani Touré venait de prendre son envol. Parti en 1992, il revient en 2002. Tout aurait été bien dans le meilleur des mondes, s’il n’avait été chassé, au lance pierre, par d’autres militaires, venus, une fois de plus, sauver le pays, un autre mois de mars.  » Pourquoi, un putsch, pourquoi maintenant, dans ce pays réputé pacifique et stable ? « , se demande l’auteur sur les contours d’une bourrasque, honnie et condamnée de l’extérieur, mais popularité à l’intérieur.  » Ce coup d’état nous a libérés du mirage démocratique et replace le problème dans son contexte, à savoir la quête de la démocratie pour les peuples maliens « , s’est vite exclamé Oumar Mariko du parti Sadi qui parle du peuple malien au pluriel. Ce premier constat ne relève pas que du paradoxe et tout le mérite de Thierry PERRET est de s’en être servi comme grille de décryptage d’un pays subitement soumis au feu roulant de l’instabilité institutionnelle au sud, la perte de la souveraineté au nord, la déliquescence à tout point de vue, l’affaissement de l’Etat, devenu une  » pacotille « .

 

En cause, et en première ligne Amadou Toumani TOURE dont les formules à l’emporte-pièce sont constellées dans un bêtisier à nul autre pareil. S’il n’est pas un grand intellectuel versé dans la marche des concepts, il va se distinguer par un échafaudage d’une grande fonctionnalité sur l’énonciation d’une pensée politique simple :  » le consensus « , cette donne qui a  » anesthésié les forces d’alternance « ,  » la capacité de proposition des partis, voire tout débat public « …

 

ATT ? Un «  Séducteur, rusé, porté par tempérament au compromis dans un pays resté profondément attaché aux modes traditionnels de conciliation qui régissent les rapports entre groupes sociaux, ATT s’est montré soucieux de préserver l’image du Mali comme un havre de paix et de stabilité, image considérée comme outrée par les maliens eux-mêmes « , trace d’un trait de crayon l’auteur. Il ajoute ceci : «  Il écoutait tout le monde, chacun avait le sentiment d’être entendu, et il roulait tout le monde « , lit-on à la page 30. Un véritable boulanger dans la pure tradition de la grande fourberie. Cette ère sera celle de  » mauvaises décisions, des officiers écartés ou court-circuités, des nominations de généraux inexplicables, des problèmes d’approvisionnement et de logistique en général non résolus, sans compter que tout le monde l’a lâché au moment crucial « , témoigne l’ancien ministre Soumeylou Boubèye Maiga. (P.31).

 

ATT, le fourbe

ATT était aux antipodes de la gestion d’un Etat. Un Etat pour quoi faire ? Pour assurer la sécurité du territoire ? La sécurité des biens et des hommes ? ATT n’était pas le chef de cette construction. Il n’en n’avait cure. Et l’auteur de faire un recours à Moussa TRAORE qui, lui avait une connaissance claire des attributs de l’Etat comme instrument de la puissance publique. Et qu’avait fait Moussa TRAORE, pour faire régner la quiétude ? Mettre le territoire du nord sous surveillance militaire. Au constat, Moussa TRAORE contrôla le nord tant qu’il était fort. Il le perdit quand son armée se délitât. Ce délire sécuritaire n’a pourtant pas développé le nord du pays. Kidal, principalement est vide de tout. Rien, à part une économie bâtie sur le chameau, l’élevage du chameau, l’artisanat, le tourisme, le commerce fait de trafic et de contrebande : les cigarettes, le carburant.  » On a beau savoir que c’est tout le Mali qui peine, ici la peine est comme l’horizon : infinie « , lit-on poétiquement à la page 85. Cette désolation est vite devenue le terreau d’une grande criminalité dont les vecteurs sont la drogue, les armes, l’immigration clandestine. Mais Kidal ne soufre pas que de l’absence de l’Etat. Il souffre de son organisation sociale «  la rigoureuse stratification de la société nomade qui a eu des effets directs sur la gestion du nord « . P 89.

 

Et nous voici dans la socio-anthropologie de Kidal.  » Dans les Ifoghas, région où l’agitation est endémique depuis l’indépendance, le gouvernement malien a du tenir compte des équilibres anciens et a assuré leur prééminence aux clans dominants. Jusqu’aux années 2000, les nobles Kel Adagh , et parmi eu les trois fractions des Kel Afalla, des Irakayan et des Ifirgoumissen, ont plus ou moins gardé la maîtrise des postes et avantages consentis par une démocratie ici fort peu opérante- dès lors qu’élus et chefs militaires se recrutaient dans cette élite par ailleurs minoritaire. Puis les alliances se renversent. On observe alors sous les deux mandats de Amadou Toumani Touré une nette montée en puissance des clans vassaux, tels les Imghad. Autrefois révoltés, ils se sont montrés des interlocuteurs plus fiables, surtout au sein de l’armée. Issu de leurs rangs, le Colonel El Hadhi GAMOU a maintenu sa fidélité et il est un solide allié d’ATT contre les résurgences rebelles. Lesquelles peuvent être analysées, spécialement en 2006, comme le résultat de ces rapports de force mouvants. A cette époque, les Imghad ont raflé les postes électifs (mairies, comme à Kidal, Assemblée Régionale…) En 2012, ils s’opposeront à nouveau à la rébellion… « , constate-t-on à la page 88.

 

 

La stratification sociale

L’Etat au Mali ? Ce fut  » une omnipotence d’une caste bureaucratique sans prise sur les besoins et le dynamisme d’une société avant tout d’agriculteurs et de commerçants, tandis que les nomades et les éleveurs figuraient une sous- classe à peine admise à l’existence « , sous la première république. Ce fut cette machine de répression infernale, du régime militaro-civil de Moussa TRAORE. Tous sauf, cet outil, « fruit d’une vision politique à laquelle on soumet les moyens d’une administration faite pour exécuter « .

 

Nous touchons à l’option de la décentralisation qui en tant que mode de gestion n’a pas également les faveurs de l’auteur, dans le contexte malien. «  Au Mali, cette très belle idée a été, à tort, conçue comme un substitut à l’Etat, et c’est la grande bévue des partenaires extérieurs qui ont accompagné la réforme. Mais une décentralisation sans Etat- et sans une conception de celui-ci venue de l’extérieur- ne marche pas, ne serait-ce qu’en raison des ressources à affecter aux instances locales, et au contrôle à exercer sur elles pour les faire fonctionner. … « , retient- on du réquisitoire, à la page 94. Et qu’a fait la décentralisation   ? Dépouiller l’Etat de ses attributs, privatiser le service public, se retirer de l’école et de la santé. Et voici la trouvaille. « … transformer l’Etat du Mali en vague régulateur de son développement, quand toutes les initiatives revenaient à des communautés de base par ailleurs fort démunies. … l’université est restée un parfait statu quo aux effectifs débordants, quand le Mali avait le plus grand besoin de matière grise et de cadres, ce qui nourrissant à coup sûr son impuissance à être pleinement acteur de son destin « . P 96.

 

L’Etat a échoué à Kidal. Mais l’Etat n’a pas qu’échoué à Kidal. Il a aussi échoué partout.  

 » Des erreurs ont été faites, reconnaît Souleymane Drabo, directeur du quotidien l’Essor. Il aurait par exemple fallu prioriser le désenclavement du Nord, au moment où l’on mettait en chantier tant de nouvelles routes. Mais il est faut de dire qu’ATT (et avant lui Alpha Oumar KONARE) n’a rien fait au Nord. Pour qui connaît bien Kidal, la ville a été métamorphosée. Pour un étranger, c’est toujours le même dénuement, mais nous, nous savons d’où on vient. L’opinion malienne, n’a d’ailleurs jamais accepté de voir tant de fonds se déverser sur les trois régions du Nord, alors que le sous équipement est partout. On dit : la région de Kayes a changé de visage. Oui, mais ce n’est pas grâce à l’Etat, c’est grâce aux ressources des travailleurs immigrés « , lit-on, à la page 83 d’un document d’une grande pertinence.

 

C’est cette gouvernance qu’il faut refonder à travers un nouveau contrat social. Et désormais rien ne sera comme avant. Quid du président Ibrahim Boubacar KEITA dans cette passe ? Il s’est voulu comme le candidat de la restauration de l’ordre, et de la défense de la fierté nationale. Mais attention prévient l’auteur :  » On ne joue pas avec la fibre nationaliste sans conséquence : à bien des égards, et dans la situation où se trouve le pays, ce sursaut patriotique, qui apparaissait déjà comme exacerbé et irréaliste en 2012, est dangereux s’il masque aux Maliens leur responsabilité collective dans la crise actuelle. Les votants ont en majorité porté leur bulletin contre la rébellion nordiste et pour le maintien d’un certain quant à soi communautaire « . Tel est le sens de cette élection. Pas autre chose. Ecrit avec une plume incisive, dans un rythme à cheval entre journal écrit et la radio, cet ouvrage est certainement la lecture la plus actuelle de notre drame. Il met à jour les incontournables approches auxquelles font face les journalistes dans leur métier, à savoir la frontière entre l’honnêteté et l’objectivité dans le traitement et la diffusion d’une information. S’il n’épuise pas cette question, il reste que l’ouvrage est très critique quand au rôle de l’Etat dans la construction d’une nation. C’est cela qu’il est fondateur et ouvre des pistes de solutions.

Thierry PERRET , Mali

Une crise au Sahel

Karthala, Avril 2014, 18 Euros