Le doyen Baba Djourté, ancien journaliste à Radio-Mali et à l’ORTM est notre mentor. Il est un inconditionnel de la rubrique “Que sont-ils devenus ?” Ses coups de fil à l’allure d’observations, de directives et de conseils constituent pour nous une boussole pour éviter tout dérapage.  Et c’est par reconnaissance que la direction du journal a décidé du passage dans la rubrique  “Que sont-ils devenus ?” d’une personne qui n’est plus de ce monde, c’est-à-dire son épouse. Il est difficile de vivre les derniers instants d’un proche. Il est surtout insoutenable d’assister au décès et aux obsèques d’une épouse fidèle, discrète, exemplaire, bref incomparable. C’est l’épreuve douloureuse à laquelle Baba Djourté a été soumis, suite à la perte de sa femme le lundi 19 septembre 2022, à l’âge de 69 ans. Depuis, l’ancien journaliste vit l’un des moments les plus cruciaux de sa vie parce qu’une parfaite complicité a régné au sein du couple pendant 50 ans de vie commune. Aujourd’hui il fait le constat amer du vide laissé par la disparition de sa brave épouse. Ses petits-enfants contribuent à accentuer son chagrin. Ils ne le quittent plus. Leur grande mère étant partie, ils ont transféré l’affection à Baba Djourté. Comment leur expliquer le voyage sans retour de leur Mamie ? Qui était Me Djourté Fatimata Dembélé ? Son cursus universitaire ? Son combat ? La rubrique “Que sont-ils devenus ?” revient sur la vie d’une battante qui a marqué  son temps.

Le vendredi 23 septembre aux environs de 16 h, le doyen Baba Djourté nous dit ceci au téléphone “Salut Roger, je vous appelle dans une circonstance malheureuse. J’ai perdu ma femme le lundi dernier”. Le calme et l’émotion dans sa voix traduisaient l’état d’âme meurtri de l’homme, car, quoiqu’inexorable, il ne s’attendait pas au décès de sa femme en ce moment précis.

Me Djourté Fatimata Dembélé a eu parfois des ennuis de santé, mais ces malaises étaient passagers, compte tenu de sa ténacité, explique le doyen. Malheureusement, cette fois-ci, elle a été surprise par La Faucheuse.

Nous lui adressions nos sincères condoléances, tout en promettant de passer à la maison le lendemain pour rendre hommage à  cette dame, qui nous avait royalement accueillis lors de notre passage chez son mari en septembre 2017.

Arrivé dans la famille Djourté, nous croisons Tiona Mathieu Koné, ancien journaliste à Radio-Mali, à l’ORTM et ex-conseiller à la communication de feu le président Moussa Traoré. Lui aussi est un passionné de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”. Très content de nous revoir physiquement,  il se chargera de nous installer, pendant que Baba Djourté se réjouissait de sa présence à ses côtés en ces moments pénibles.

Comment le veuf vit ces instants difficiles ? “Je vis une douleur indescriptible, un chagrin énorme avec beaucoup d’émotions dans la tristesse, un grand vide pour mes enfants,  les petits-enfants. Je retiens d’elle une femme au bon cœur, une épouse serviable, fidèle, très attentionnée, très soucieuse du bien-être de sa famille. A cela j’ajoute que Me Djourté Fatimata Dembélé était une combattante des droits humains, et plus particulièrement contre les violences faites aux femmes. Son statut d’avocat n’est pas un hasard. Elle défendait les couches vulnérables”.

L’amour du prochain

Personne  ressource pour les organisations de défense des droits de la femme et de l’enfant au Mali depuis 1987, consultante formatrice en droits humains et droits de la citoyenneté, experte sur les questions de violences basées sur le genre, violences sexuelles et sexistes : analyse-plaidoyer-appui à l’assistance juridique et judiciaire, membre du Groupe de réflexion sur les grandes orientations en vue de la réforme du droit de la famille, rédactrice principale de la loi N°-2015-052 du 18 décembre 2015 instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives sur le quota et les violences basées sur le genre, coordinatrice pour l’élaboration d’un guide juridique de protection de la femme et de l’enfant du ministère de la Justice/Programme conjoint des droits humains,  Me Djourté Fatimata Dembélé n’a pas vécu inutile. Elle a consacré toute sa vie à l’humanité, c’est-à-dire se rendre utile en aidant les autres.

Il faudra combien de temps pour que ce non voyant qu’elle entretenait se remette de la psychose créée par son décès ? Comment cette jeune Burkinabé digérera le décès d’une mère qui l’a sauvée des dérives de la rue ? Pour avoir contracté une grossesse cette fille a été renvoyée par son tuteur. Me Djourté Fatimata Dembélé l’a recueillie, s’occupa de son cas jusqu’à l’accouchement.

Elle se fera le devoir d’identifier le père de l’enfant et le convaincre d’épouser la jeune dame. Et cette nièce inconsolable qui, en son temps avait de la peine à parler dans l’adolescence ? Il a fallu son aide et sa ténacité pour que cette petite aujourd’hui mariée retrouve ses fonctions orales. Bref, Me Djourté a laissé beaucoup de personnes dans le désarroi total.

Me Djourté Fatimata Dembélé a décroché son baccalauréat en 1973, au lycée Notre Dame du Niger, option Philo-Langues. Elle bénéficie d’une bourse et s’envole pour l’Université des sciences sociales de  Toulouse – Faculté de droit. Elle y passa huit  ans (1973-1981), date à laquelle elle obtient son Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (Capa). Alors commença pour cette passionnée du droit une longue et riche carrière judiciaire diversifiée avec comme prétention la défense des plus faibles, et toutes autres activités concourant à la pérennisation de ce combat qu’elle a épousé dès ses premières heures au Barreau malien.

La consécration

Son parcours est tellement riche que nous nous sommes fait le devoir de le condenser. Cela se justifie logiquement, puisqu’elle a 34 ans d’expérience au Barreau, 30 ans dans le domaine des droits humains. De ce fait, nous retenons qu’elle est commissaire des droits de l’Homme à la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), expert pour l’élaboration des rapports périodiques présentés aux organes des traités, présidente du Groupe de travail sur les droits catégoriels à la CNDH (femmes, enfants et autres personnes vulnérables), membre de la sous-commission protection des droits de l’Homme, membre du comité technique du projet “Stop War on Children”, membre du comité de pilotage du Projet d’appui à la protection des enfants victimes, membre du Conseil de l’Ordre des avocats du Mali ( 1988-1994), experte de l’Union interparlementaire pour la formation des parlementaires africains dans les pays en situation de post conflit sur les droits humains, droit des femmes et des enfants, les violences faites aux femmes : Burundi, Mali, RD Congo, Burkina Faso, vice-présidente du comité de pilotage pour la réforme du droit de la famille.

En plus Me Djourté Fatimata Dembélé a participé à une vingtaine de formations à l’étranger sur divers thèmes.

Convaincu des compétences d’une femme engagée, émerveillé aussi par sa bravoure feu le président Amadou Toumani Touré lui avait confié la direction de la Maison de la femme et de l’Enfant. Elle a dirigé ce service sensible pendant cinq (2011-2016).

Malheureusement aujourd’hui le bon Dieu en a décidé autrement en nous privant de cette dame efficace dans la discrétion. Le Barreau lui a rendu un vibrant hommage à travers une oraison funèbre.  Cet éminent avocat qui a requis l’anonymat dit ceci à propos de Me Djourté “Nous avons collaboré à la CNDH, elle est une femme exceptionnelle qui incarnait la bonté. C’est à dire qu’elle n’était à l’aise qu’en venant en aide aux autres. Certes la mort est inévitable,  mais Me Djourté aurait dû encore restée. Parce qu’elle avait le don du social “.

Son mari Baba Djourté,  ses enfants et petits étaient toujours sous le choc lors de notre passage. Nous prions pour le repos éternel de la maman nationale.

 O. Roger Tél (00223) 63 88 24 23

Source: Aujourd’hui-Mali