La montée chez une partie des Maliens d’un sentiment de lassitude vis-à-vis de la France et de sa présence militaire au Mali va grandissant. Alors que les appels de soutien aux Forces armées maliennes se multiplient, à travers des manifestations populaires, ces dernières deviennent très rapidement l’occasion pour certains d’exprimer ouvertement leur mécontentement envers le rôle des Français dans la gestion de la crise sécuritaire qui secoue le pays depuis 2012. Si l’Hexagone n’est pas exempt de reproches, n’est-il pas indexé à tort ? Pour beaucoup, la question est : la France joue-t-elle franc jeu au Mali ?

 

Vendredi 15 novembre 2019. Des milliers de Maliens sont sortis massivement pour répondre à l’appel de partis politiques de l’opposition et regroupements de la société civile afin de manifester un soutien sans faille à l’armée malienne, qui ne cesse de compter ses morts au front dans la crise sécuritaire que traverse le pays depuis des années.

Si officiellement le mot d’ordre était donc clairement en faveur des Famas et de la dénonciation de la mauvaise gouvernance, les partisans de l’incrimination de la France dans les plus grands  malheurs du Mali, du moins d’un point de vue sécuritaire, n’ont pas manqué l’occasion de se faire entendre. Certains l’ont même poussé à l’extrême, en brûlant le drapeau français Place de l’Indépendance à Bamako, un lieu hautement symbolique.

« Ces moments sont douloureux à plus d’un titre. Ils occultent les efforts déployés par la France pour sauver le Mali du péril djihadiste et font le jeu de ceux-là même qui attaquent les forces maliennes et internationales. Ils ne sont pas à l’image de la longue et amicale coopération qui unit la France et le Mali », regrette SE Joël Meyer, ambassadeur de France au Mali.

Les initiateurs de la manifestation n’ont pas, dans les jours qui ont suivi, condamné ces actions même s’ils n’approuvent pas ces agissements. « Les messages qui ont été véhiculés par les leaders présents lors de la manifestation n’étaient pas des messages de haine contre la France. Nous n’adhérons pas à cette position. Mais aujourd’hui il faut comprendre que cette population est perdue à cause de la mauvaise gouvernance. Notre problème n’est pas donc pas la France », explique Moussa Seye Diallo, secrétaire adjoint à la communication de l’URD.

« Mais, quand vous lancez un appel, c’est tout le monde qui vient, avec ses intentions, émotions et réflexions. Aujourd’hui, quand on regarde la population malienne, on se rend compte que certains n’arrivent pas à comprendre ce qui se passe dans les zones de conflit. Bien qu’il y a une présence des forces étrangères, avec en tête de proue la France, les massacres continuent », ajoute-il.

Même son de cloche chez les Fare An ka Wuli, où l’on précise que la manifestation n’avait pas pour but d’attaquer qui que ce soit, même si l’on estime la réaction de certains Maliens compréhensible. « La déclaration du Président Modibo Sidibé va dans le sens de l’essence même de la mobilisation. Après, l’opinion nationale et les ressentiments des uns et des autres quant à la position de la France ne nous engagent pas », précise Bréhima Sidibé, secrétaire général adjoint du parti, qui par ailleurs fait partie du regroupement « Anw Ko Mali Dron ».

Causes lointaines 

Avant d’en arriver là, des prémices avaient déjà été observés à travers le pays. Que ce soit lors des manifestations récentes à Sévaré ou de la mobilisation du mouvement « On a tout compris » début 2018, le sentiment « anti-français » croît ces dernières semaines.

« Il s’explique par un essoufflement face à la détérioration de la situation sécuritaire. Autant, en 2013, l’arrivée de l’opération Serval, avec la campagne militaire franco-africaine qui s’en est suivie, a été perçue comme salvatrice, autant  la persistance de la menace sécuritaire des années après reste incompréhensible pour certains Maliens », fait remarquer Baba Dakono, chercheur à l’Institut d’études de sécurité en Afrique (ISS Africa).

Cet observateur averti trouve d’ailleurs « normal » que la population s’en prenne un peu aux acteurs militaires, et donc à la France, considérée comme une puissance dans ce sens, capable d’aider le Mali à faire face aux terroristes si elle jouait franc-jeu.

« La suspicion vient du fait que les Maliens ne comprennent pas toujours pourquoi, à l’entrée de Kidal, les troupes françaises avaient interdit l’accès des troupes maliennes, et cela jusqu’à présent », souligne le Pr Issa N’diaye, ancien ministre de l’Éducation nationale et militant du mouvement démocratique.

Selon lui, cela crée une ambigüité et ce n’est pas seulement au Mali que les Français sont indexés, mais un peu partout en Afrique de l’Ouest, notamment au Burkina Faso ou au Niger.

Une ambigüité que ne comprend pas SE Joël Meyer, selon lequel, au contraire, la position de la France face au fléau terroriste qui meurtrit le Sahel a toujours été parfaitement claire.

« Quelle « ambiguïté », de la France et de la communauté internationale, peut-on dénoncer alors que, aux côtés de leurs camarades maliens, tant  de soldats français et étrangers, tout particulièrement Africains, se sont sacrifiés sur ce sol pour défendre ce pays ? », questionne le diplomate français, qui avoue par ailleurs comprendre l’incompréhension ou l’impatience d’une partie de l’opinion malienne.

Pour SE Meyer,  la lutte contre le fléau terroriste s’inscrit nécessairement dans un temps long. « Croyez bien encore une fois que nous préférerions épargner la vie de nos militaires, mais la France tient ses engagements de solidarité », rappelle-t-il.

Kidal, le point d’achoppement

Pour beaucoup, le nord du Mali, plus précisément la région de Kidal, serait le symbole du « jeu trouble » auquel s’adonnerait la France au Mali. Les Maliens auraient toujours en travers de la gorge cette interdiction des forces françaises d’entrer à Kidal pour en reprendre le contrôle au détriment des rebelles Touaregs.

« Cela est difficile pour un pays qui se dit ami du Mali d’interdire l’entrée dans une partie du territoire national malien aux troupes maliennes. Cela ne peut pas se justifier, ce qui rend la position de la France de plus en plus indéfendable, même du point de vue de certaines personnes dans l’opinion publique française », relève le Professeur N’diaye.

« S’agissant de Kidal, le Président Macron a récemment rappelé que la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale du Mali n’étaient pas négociables », lui répond l’ambassadeur Joël Meyer, pour lequel ces principes ont été solennellement consacrés par l’Accord signé en 2015 entre le gouvernement et d’anciens rebelles du Nord, qui ont ainsi fait le choix de retrouver le giron de l’État malien plutôt que de poursuivre leur funeste entreprise déstabilisatrice.

« La France n’a d’autre intérêt au Nord que l’application de cet Accord », soutient-il très fermement.

Désengagement français ?

Pour ceux qui se questionnent sur un éventuel désengagement de la France du Mali, vu les appels incessants émanent d’une partie de l’opinion nationale, il n’en serait rien, du moins pas tant que les données n’auront véritablement pas évolué.

« Un tel désengagement, c’est d’abord admettre que les millions d’euros qui ont été investis au Mali et dans le Sahel n’auront pas servi à grand-chose. Ce serait pratiquement un aveu d’échec », affirme Baba Dakono. « D’autre part, la position portée par une frange de la population n’est certainement pas celle portée par les décideurs au plan national, qui ont établi le plan de coopération militaire avec la France », précise le chercheur.

Un point de vue qui cadre parfaitement avec celui du représentant de la diplomatie française au Mali, qui réaffirme l’attachement de son pays au « caractère souverain des décisions des autorités maliennes pour ce qui concerne leur pays », avant d’appeler les Maliens à « distinguer la réalité de la désinformation et à faire la part entre les faits et les rumeurs ». « Ne nous trompons pas d’ennemi », avertit-il.

Journal du mali