La FIFA demande à la CAF de réfléchir au passage de la CAN de deux à quatre ans. Si les avis sont partagés sur la planète foot du continent, les arguments développés par Gianni Infantino sont réels et méritent réflexion.

 

Analyse
«On joue la CAN tous les deux ans depuis des décennies. Est-ce qu’on voit un développement des infrastructures et des revenus du football africain ? La CAN génère aujourd’hui vingt fois moins que l’Euro. J’ai voyagé dans 41 pays et ce que j’ai vu n’était pas vraiment une explosion de stades modernes. Ce que je vous demande – mais c’est votre décision – c’est de discuter et de réfléchir au fait de passer la Coupe d’Afrique des nations à tous les quatre ans, au lieu de tous les deux ans». Ces propos du président de la Fédération internationale de football association (FIFA), Gianni Infantino ont provoqué beaucoup de réactions dans le monde du football, singulièrement en Afrique. Pour certains, les propositions d’Infantino sont inacceptables parce que pour eux, il ne s’agit, ni plus, ni moins qu’un chantage, alors que pour d’autres, les réformes souhaitées par le président de la FIFA doivent être examinées par la Confédération africaine de football. Il y a donc du pour et du contre et il ne fait guère de doute que le sujet continuera d’alimenter les discussions pendant de longs mois.
Pour nous, la bonne question n’est pas de savoir pourquoi le président de la FIFA a fait ces propositions, mais plutôt le moment et le lieu choisi par Gianni Infantino pour demander à la CAF d’engager des reformes pour développer le football continental et «rentrer dans le calendrier international.» En effet, c’est lors d’un «Séminaire sur le développement des compétitions et des infrastructures en Afrique», tenu le week-end dernier à Salé au Maroc que le patron de l’instance dirigeante du football mondial a fait ces propositions aux pays africains, à travers la CAF. Le timing et le choix du Royaume chérifien pour faire ces propositions ne sont sans doute pas fortuits et tout laisse penser que Gianni Infantino s’est assuré du soutien de certains responsables africains, c’est-à-dire des dirigeants de la CAF pour rompre le silence et dire tout haut ce que la FIFA demande tout bas depuis déjà plusieurs années. Sous pression des grands clubs européens toujours réticents à mettre leurs joueurs à la disposition des sélections nationales, surtout pour les joueurs africains, la FIFA a tenté, pendant plusieurs années de résister, mais a fini par se résigner.

Ainsi, elle a commencé d’abord par élaborer un calendrier international valable pour tous les continents, ensuite l’instance dirigeante du football mondial a exigé des réparations pour les clubs, en cas de blessure d’un joueur, dans les compétitions de sélections, avant d’adopter d’autres mesures visant à préserver les intérêts des clubs. On sait que les grands clubs se plaignent depuis plusieurs années de la périodicité de la CAN (deux ans), mais aussi de la date de la compétition qui se dispute traditionnellement en janvier au moment où certains championnats européens comme celui d’Angleterre, battent leur plein. Ainsi, à chaque CAN des voix s’élèvent sur le Vieux continent pour protester contre la libération des joueurs africains, faisant resurgir les débats sur le changement de la date de la plus prestigieuse des compétitions continentales et son adaptation au calendrier international, en fait à celui des clubs européens. Le masque est donc tombé le week-end dernier à Salé et le président de la FIFA n’a pas mâché ses mots s’agissant de l’état actuel du football africain. «Ça ne m’intéresse pas de développer le football en Afrique. Ce que je veux, c’est projeter le football africain dans l’élite mondiale. Ça fait 50 ans, 40 ans, 30 ans, qu’on parle de son développement» !«Pelé prédisait un avenir incroyable au football africain. Il a déclaré qu’avant l’an 2000, une équipe africaine allait gagner la Coupe du monde. On est en 2020 et, non seulement aucune équipe africaine n’a gagné la Coupe du monde, mais on a l’impression qu’on fait marche arrière», a martelé Gianni Infantino.»
On peut ne pas aimer le ton employé par le patron de la FIFA, comme on peut également pointer du doigt la responsabilité de l’instance dirigeante du football mondial dans la situation actuelle du football africain. Mais, disons-le sans ambages, le football continental a besoin de réformes profondes et les propositions de Gianni Infantino, notamment l’organisation de la CAN tous les quatre ans au lieu de deux, peuvent être de nature à faire bouger les choses. Nous sommes d’avis avec l’ancienne star des éléphants de Côte d’Ivoire, Didier Drogba, lorsqu’il dit que «cela (la CAN tous les quatre ans, ndlr) peut être une bonne chose parce que cela donnerait une saveur bien particulière à ce trophée par sa rareté.» «Maintenant, c’est un compromis, un juste milieu qu’il faut trouver. Les fédérations africaines doivent se réunir pour en discuter», a ajouté l’ancien attaquant ivoirien.

Et d’expliquer : «À terme, on va être obligé d’arriver à cela car les joueurs africains évoluant en Europe sont pas mal lésés par rapport à leurs clubs. À l’époque quand on jouait la CAN en janvier, partir en sélection c’était mettre en danger sa place de titulaire. C’était vraiment compliqué. Cela va être intéressant comme débat, j’espère pouvoir y contribuer.»
Pour nous, au délà de la saveur particulière évoquée par Didier Drogba, le passage de la CAN à quatre ans va fortement diminuer la pression qu’exercent les clubs européens sur les joueurs africains et en même temps donner plus de visibilité au Championnat d’Afrique des nations (CHAN) et à la CAN U23 qui se déroulent tous les deux ans. Un autre avantage du changement de la périodicité de la CAN, c’est le fait que le pays organisateur aura plus de temps pour réaliser les infrastructures, un argument important quand on sait le coût de la compétition.
Concernant les coupes interclubs, Gianni Infantino a également fait des propositions. Le patron de la FIFA souhaite la création d’une nouvelle compétition, spécifique à l’Afrique. Elle s’appellera ligue panafricaine des clubs et couvrira tout le continent, avec 20 à 24 clubs. «Avec, peut-être, au maximum deux équipes par pays. Ces équipes continueraient à évoluer dans leurs championnats nationaux en parallèle. De cette façon, à l’issue de la saison, nous pourrions couronner le champion d’Afrique. […] Une superligue africaine pourrait générer du jour au lendemain au moins 200 millions (environ 131 milliards de F cfa) de revenus commerciaux par an.» Désormais, on attend la réaction de la CAF.

Souleymane B. TOUNKARA

Source : L’ESSOR