Au terme de notre entretien avec Issa Traoré dit Laïs, il est difficile de trouver les mots justes à la dimension de sa valeur au risque de le dévaluer. Faut-il le qualifier de monument, d’icône ou d’encyclopédie du football malien ? Pour être précis, il n’y a pas de mot de trop pour l’étiqueter. Laïs est l’un des premiers joueurs de l’équipe nationale à l’indépendance du Mali en 1960. Bref, il est rare de rencontrer des anciennes gloires comme lui. Marié et père de huit enfants, il jouit d’une santé de fer malgré ses 85 ans. Fils de marabout et très instruit au Coran, son emploi du temps est consacré à la pratique maximale de la religion musulmane, une marche matinale quotidienne de 45 minutes. Laïs possède une mémoire presque infaillible et demeure un passionné du football malien et du Djoliba AC. Dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”, Issa Traoré dit Laïs nous a accordé une interview à son domicile à Ouolofobougou-Bolibana. Faut-il rappeler qu’il est compagnon d’enfance du compol Yacouba Coulibaly (ancien commissaire du 2e arrondissement, arrêté et condamné avec Tiécoro Bagayoko en 1978) et Moctar Koureichi. Ces deux personnalités sont également passées dans la rubrique “Que sont-ils devenus ?” parce qu’ils ont une histoire. Qui est Laïs ? Comment le Djoliba a été créé ? Le sens du nom Djoliba ? Quelle vision a-t-il des Rouges d’aujourd’hui ? Le premier capitaine du Djoliba AC était bien inspiré pour marquer son passage dans votre chronique préféré.

Le fait pour nous nous d’évoquer sans cesse le journal sportif “Podium” de l’Amap se justifie par l’histoire du football malien qu’il nous restitue à travers ses commentaires et photos. En 1961, date de la première finale de Coupe du Mali – nous n’étions pas encore nés – un poster de Podium nous permet néanmoins de savoir qu’elle a opposé le Djoliba au Stade malien de Bamako.

C’est surtout cet échange de fanions entre les deux capitaines Laïs et Piantoni qui retient notre attention et constitue une raison de garder de nos jours ledit numéro. Dommage le capitaine du Stade malien est décédé avant que nous ne prenions service au journal Aujourd’hui Mali. Mais celui du Djoliba est bien vivant, et Dieu merci nous avons aujourd’hui l’occasion de parler de sa carrière.

Issa Laïs Traoré est un Djolibiste pur-sang, pour avoir été l’un des artisans de la fusion qui aboutit à la création du Djoliba en 1960. Ce premier tournant de l’histoire du club vaut une mine d’or pour lui comme bon souvenir de sa vie. Ajoutée à cela la première finale de Coupe du Mali entre le Djoliba et le Stade malien de Bamako. Les Blancs ont gagné par trois  buts à deux.

Malgré le fair-play qu’il s’impose depuis toujours, Laïs conteste cette victoire stadiste, regrettant la partialité de l’arbitre central. En quoi donc ? “Je me souviens encore de l’action qui a conduit au penalty. L’attaquant stadiste dans ses tentatives de débordement, finit par déclencher un tir. Le ballon amortit sur mon ventre. Voilà que l’arbitre désigne le point de penalty, et je lui ai posé la question de savoir ce qui s’est passé ? Il a maintenu sa décision et le Stade a remporté la première Coupe du Mali. Quelques jours après cette finale, il m’a présenté ses excuses et reconnu que le penalty ne se justifiait pas.  Dommage ! Le mal était déjà fait”.

Comment a-t-il vécu l’arrestation de Tiécoro Bagayoko ? En plus d’être des amis d’enfance, ils ont des relations particulières du côté de leurs épouses respectives, Laïs dit que cet événement fut dramatique et regrette que Tiécoro avait nourri un faux espoir par rapport à sa libération. Il a rencontré l’ancien directeur général des services de sécurité grâce à feu ATT, en son temps commandant de la Compagnie para.

L’origine du “Djoliba”

C’est son ami d’enfance Yacouba Coulibaly qui lui a donné le sobriquet Laïs. Ils évoluaient ensemble dans le FC Bayard (chevalier sans peur et sans reproche dans l’histoire de la France) dans les années 1948-1949. Ce club de quartier, créé sous l’impulsion de Moctar Koureichi, a connu son ascension dans les compétitions locales. C’

est surtout la ligue des jeunes du district, créée par Modibo Traoré dit Modibo Djan de Bagadadji qui a été un déclic pour cette équipe par les performances enregistrées.

En 1955, le FC Bayard fusionne avec la Jeunesse ardente de Bamako-Coura pour donner naissance à Africa dont les ténors en plus de Laïs furent Karounga Kéita dit Kéké, M’Baye Niambélé, Minamba Kéita, Samba Sangaré dit Johnny, Mamadou Kassa Traoré, Abdoulaye Traoré dit Miss-Miche, Moustaph Coulibaly, Bourama Traoré dit Gilmar, Yacouba Coulibaly, Seydou Bamba, Abdoulaye Maïga, etc.

Ce nouveau bébé qui commence à pousser des dents plus solides représente le Soudan Français à la Coupe de l’Afrique occidentale française (AOF) en 1958. Son avenir promoteur s’assombrit de façon inattendue. Et pour cause ! Mais dans le bon sens. Le président Modibo Kéita en visite d’Etat à Dakar est témoin d’une défaite de la Jeanne d’Arc de Bamako. Cela le choque.

Patriote convaincu, il instruit la fusion des clubs pour réduire leur nombre afin d’avoir des formations représentatives. Voilà que le Djoliba AC est créé avec des conditionnalités. Les deux équipes fusionnées : l’Africa et le Foyer doivent abandonner leur nom, pour un autre dans le consensus. Fousseyni Diabaté, un supporter du Foyer, et grand syndicaliste propose l’appellation “Djoliba”.

Sa démonstration historique du fleuve Djoliba émeut l’assistance parce que l’Africain se retrouve avec ce nom. Immédiatement un bureau provisoire dirigé par Tiéba Coulibaly est mis en place. C’est à partir de cette date que l’histoire des Rouges commence avec comme premier capitaine Issa Traoré dit Laïs. Il est l’un des noyaux de la première équipe nationale du Mali qui s’illustre avec la Coupe Kwame Nkrumah. Quel parallèle entre le Djoliba d’hier et celui d’aujourd’hui ? Une grande différence dans les mentalités, soutient-il. Le club avait des valeurs qui ne sont plus d’actualité. Cela était la force du Djoliba et constituait la différence avec les autres clubs. Les joueurs avaient une passion pour l’équipe.

Aujourd’hui Laïs dit avoir un grand problème, un souci parce que le Djoliba souffre d’un problème interne, raison pour laquelle il ne se reconnait plus dans son club de cœur.

Ainsi en sa qualité de libéro, il dirige l’axe central djolibiste. Mais seulement pendant quatre saisons. Oui, parce qu’il quitte le pays pour ne plus revenir.  Comment ? Qu’est ce qui a occasionné ce départ définitif ?

Péripéties

Devenu le pilier du bastion défensif des Rouges, Issa Traoré est logiquement sélectionné en équipe nationale, dès les premières heures de l’indépendance. Déjà il occupait les fonctions d’aide comptable à la Compagnie FAO. Ses absences répétées liées au temps d’internat et voyages de l’équipe nationale agacent sa hiérarchie. Laquelle n’a pas caché sa désapprobation.

Laïs finit par obtempérer suite aux instructions du ministre Jean-Marie Koné. Malgré tout Laïs, pour éviter des ennuis administratifs, décide de boycotter un voyage de l’équipe nationale, où le Mali devait rencontrer la Haute Volta dans le cadre de la Coupe Kwamé Nkrumah.

Pour couper court à tous ces agissements, le ministre de la Jeunesse et des Sports l’affecte au Service civique. C’est là où Laïs bénéficie d’une bourse d’études sur l’Allemagne.  A partir de cette nouvelle aventure, selon lui-même, il a déserté, c’est-à-dire qu’il ne retourne plus au Mali et est radié de la fonction publique.

Après huit mois, l’ancien capitaine des Rouges débarque en France. Le contenu du stage ne lui convient pas parce qu’il désire être entraîneur et non administrateur de football. A Paris, Issa tombe sur un ancien joueur du COB, Mamourou Sangaré, qui lui offre une hospitalité exquise.  Karounga Kéita dit Kéké qui jouait à l’époque à Bordeaux, le conseille à son entraîneur pour un essai de dix jours. Laïs réussit le test, mais il ne peut avoir que le statut de stagiaire avec uniquement des primes. Une telle proposition ne l’enchante pas, d’autant plus qu’il a une famille en charge et doit aussi s’occuper de son vieux père.  Il lui fallait nécessairement une source de revenus stable et conséquente. Laïs quitte les Girondais de Bordeaux et  rejoint Mamourou Sangaré à Paris, qui lui propose son équipe “Les Verts et Blancs” du Groupe Hachette. Issa Traoré accepte pour avoir été embauché par le club comme aide comptable, en plus d’un logement et des primes de matches.

Par la suite il devient entraîneur de la même équipe jusqu’en 1976. Entre-temps, il passe ses diplômes d’entraîneur avec Jacques Broussier et Michel Mersier. Durant tout ce temps beaucoup d’eaux ont coulé sous le pont. L’amour du pays le contraint à retourner au Mali.

La carrière de Laïs est aussi liée d’une part aux bons souvenirs : la Coupe Kwame Nkrumah et la victoire du Mali face au Sénégal en 1962 (3 à 1), et d’autre part aux mauvais souvenirs : la finale de la Coupe du Mali en 1961 et la défaite de l’équipe nationale en finale de la Coupe Kwame Nkrumah face au Ghana qui s’est imposé par 4 buts à 0.

Dans la vie, Issa Traoré dit Laïs aime sa famille, le Djoliba, le football. Il déteste la trahison, la méchanceté. L’homme est marié et père de huit enfants.

O. Roger Tél (00223) 63 88 24 23

Source: Aujourd’hui-Mali