Contrairement à ce que laisse croire son surnom Modibo Dix, Modibo Doumbia ne portait pas le maillot numéro 10. Seulement, on le surnommait Modibo ” Dissiba “, qui se traduit par ” Modibo à la poitrine bombée “. Finalement, ” Dissiba ” est diminué en ” Dix “. Vous l’aurez compris, Modibo Doumbia est notre héros du jour. Après avoir fait ses débuts au club P.A.B de Missira, il intègre le Stade malien de Bamako pour tracer les sillons de son destin, à côté d’un certain Mamadou Keïta dit Capi. Sérieux, discipliné et loyal, Modibo 10 a cueilli le fruit des qualités en s’imposant au Stade et en équipe nationale. Après une riche carrière, l’ancien gardien du Stade et des Aigles dirige un centre de formation de jeunes et continue parallèlement à exercer son métier de mécanicien. Nous l’avons rencontré dans le cadre de notre rubrique ” Que sont-ils devenus ? ” pour parler de sa carrière et de sa retraite.

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Après avoir servi à la Sonatam et à la Somiex, Modibo Doumbia dit Modibo 10 a fini sa carrière administrative au Département des Sports comme ronéotypiste. L’ancien gardien de but du Stade malien de Bamako et des Aigles du Mali dirige aujourd’hui un centre de formation des jeunes au stade Omnisports Modibo Keïta, dans le cadre du projet initié en 2010 par le président Amadou Toumani Touré. Sinon Modibo 10 est mécanicien de profil et continue d’exercer ce métier, en face du restaurant Relax, côté Quinzambougou. C’est là qu’il nous a reçus. L’homme garde toujours son amabilité, sa gaieté, tels que nous l’avons connu dans les années 1980, quand le Stade malien de Bamako s’entrainait sur le terrain Asecna, à Hamdallaye. Et le fait de tournoyer entre les terrains des différents clubs était pour nous un plaisir. Approcher et toucher les Sory Kourouma, Abdoulaye Koumaré dit Muller, Poker, Lassine Soumaoro, Boubacar Sidibé dit Jardin, Seydou Diarra dit Platini, Gaoussou Samaké, Mohamed Djilla et autres contribuait à anéantir notre lassitude liée aux distances que nous avons parcourues, pour assister aux séances d’entrainement du Djoliba à l’ex stade Bouvier (actuel stade Mamadou Konaté) ; du Réal au terrain annexe du stade Omnisports et du Stade malien de Bamako.

Les rigueurs d’un père

Contrairement à la plupart des enfants citadins, Modibo 10 n’a pas été inscrit à l’école française. Son père était convaincu que c’est la voie du Satan. L’orientation de Modibo vers l’école coranique n’est que la suite logique de cette conviction religieuse du vieux Doumbia.

Modibo maitrise parfaitement l’arabe et a une connaissance approfondie de la religion.  Son père n’était pas du même avis que lui par rapport à la pratique du football. A ce niveau aussi, Doumbia-père était convaincu que le sport en général n’était pas une garantie pour se forger un avenir. Donc, à tout prix, il voulait que Modibo apprenne un métier, après les cours coraniques. Cela s’est passé en 1966, au moment même où Modibo 10 faisait ses premiers pas comme gardien de but dans l’équipe de P.A.B de Missira. Alors, le fait que Modibo 10 soit mécanicien est loin d’être un accident de parcours dans sa vie. Puisqu’il tenait au football, comme tous ces enfants de Bamako à l’époque, il a alterné avec les préoccupations de son père : l’école coranique et l’apprentissage d’un métier. Le jeune Modibo est devenu l’un des meilleurs gardiens du quartier populaire de Missira. Il se fait un renom à travers les compétitions inter quartiers.

Le premier vice-président du Stade malien de Bamako, Maro Traoré et le président des supporters, Mody Sylla, sont parvenus à la conclusion qu’il faut le transférer au Stade malien. Aussitôt décidé, aussitôt fait ! Le jeune gardien pose ses valises chez les Blancs de Bamako. Il intègre la catégorie des juniors du club, sous la houlette de l’entraineur Samballa Sissoko. Comme à l’école, Modibo 10 est admis chaque année à un niveau supérieur, jusqu’à ce qu’il se retrouve avec l’équipe senior du Stade malien de Bamako en 1968, à l’occasion d’une rencontre inter ligues entre le Stade malien et la JS de Kati. L’enfant de Missira avait dix-huit ans. Sur son chemin, il retrouve un homme, Mamadou Kéïta dit Capi, au firmament de sa carrière. Cet état de fait ne fut point un facteur de découragement ou de démotivation pour Modibo 10. Il accepte son statut de dauphin, surtout que quelques fois, l’encadrement technique lui donnait la chance de s’affirmer.

Pourquoi a-t-il accepté d’être remplaçant durant des années, alors qu’il avait des qualités avérées ?  Modibo 10 justifie sa résignation : “Capi était meilleur que moi. Je n’étais pas venu pour le concurrencer, mais parce que j’avais des qualités. Certains comportements de ma part auraient été incompréhensibles. Tôt ou tard j’étais convaincu que je gagnerai ma place de titulaire. Pourvu que je sois patient et loyal vis-à-vis de celui qui m’apprenait beaucoup de choses sur le poste de gardien. Le temps m’a donné raison”.

Digne successeur de Capi

Effectivement, après la campagne de la CAN de Yaoundé 72, Capi ne reste pas longtemps. En 1974, il met un terme à sa carrière sportive et s’envole pour l’Allemagne où il suivra une formation d’entraineur. Mais avant, Modibo 10 l’avait remplacé au cours d’un derby contre le Djoliba où Capi avait encaissé 4 buts. Les Rouges ont fini par s’imposer par 5 à 0.

Le départ de l’un des pionniers de Yaoundé 72 donne l’opportunité à Modibo Doumbia d’enfiler enfin son costume de titulaire à part entière.

A partir de cette date, il a pris part à toutes les campagnes du Stade malien dans les compétitions internationales.

La même année, Karounga Kéïta dit Kéké, entraineur des Aigles, lui fait appel en équipe nationale. Avec les Blancs de Bamako, Modibo 10 a remporté trois titres de champion et une coupe du Mali, celle de 1982, face à l’équipe ambitieuse de l’AS Biton de Ségou. Il a fallu qu’il arrête le penalty de Bréhima Guèye pour que le rythme du jeu ségovien soit cassé et que l’équipe sombre sous les pénétrations de Yacouba Traoré dit Yaba, les coups de patte de Gaoussou Samaké et les accélérations de Mohamed Djila.

Au fil du temps, Modibo 10, avec son grade de titulaire et de doyen d’âge, a formé et assisté les jeunes portiers qui ont intégré le Stade malien de Bamako. Il s’agit de Bakary Traoré dit Yachine, Modibo Diakité, Alidji et Bamba. Ceux-ci l’ont secondé parfois et Modibo 10 était toujours là pour les encadrer ou leur remonter le moral. Cela a été le cas lorsque le jeune portier Bamba, très en forme lors des entrainements, est passé à côté lors de son baptême de feu. En 1983, Amadou Vieux Samaké de l’AS Réal, fraichement venu du Gabon, a exécuté le Stade de 2 buts, consécutifs aux tremblements du portier Bamba dans les buts.

En 1984, quand Modibo Diakité a été traumatisé par les assauts répétés de Henry Sylvain Wosou et ce coup franc de Stephen Keshi, lors de la finale aller de la coupe Ufoa, l’encadrement technique a fait appel à Modibo 10 pour voir dans quelle mesure on pouvait limiter les dégâts au match retour.

C’est en 1987 que l’enfant de Missira a mis fin à sa carrière au Stade malien de Bamako et en équipe nationale au terme du tournoi Cabral joué en Gambie. Les uns et les autres se rappellent encore de ses arrêts spectaculaires lors de cette compétition, chaque fois que le dernier rempart de la défense malienne s’écroulait et le doyen Demba Coulibaly ne manquait pas de qualificatifs pour sa dextérité ce jour.

Les nostalgiques de ces moments forts du football malien sont orphelins de toute cette ambiance qui annonçait les grands derbys, les matches des Aigles. L’absence de cette atmosphère de convivialité dans nos stades a éloigné Modibo 10 du monde du football, qui s’est transformé en un champ de bataille avec des injures, des armes à feu.

 

 

Au-delà de ces comportements désastreux, l’enfant de Missira pense que la crise du football malien est simplement le fruit d’un conflit d’intérêt. Il invite les protagonistes à se plier à la décision que la Fifa prendra pour valider ou invalider l’assemblée générale du 8 octobre dernier. Si l’on continue à s’entredéchirer, il n’y aura aucun résultat car la division, la contestation, la guerre de clans, les conflits d’intérêt constituent des entraves pour donner un second souffle à notre football, où les Aigles ont de la peine à se faire une place de choix sur le plan continental.

C’est pourquoi, Modibo refuse qu’on compare le temps de sa génération et ce que nous vivons aujourd’hui. Le seul fait de jouer sans prime ou voyager pour un mois avec une somme de 30 000 F, démontre que les choses ont changé et la comparaison n’a pas son sens.

Le but de la mort

Ses bons moments ? Tous ces temps passés en équipe nationale et au Stade malien de Bamako. Cependant, la finale perdue de la coupe du Mali en 1975 contre le Djoliba, la défaite (5 à 1) des Aigles en avril 1981 contre les Fennecs d’Algérie en éliminatoires de la CAN de 1982, le cinglant revers de l’équipe nationale contre la Côte d’Ivoire en 1985, sont les tableaux noirs de son palmarès.

A-t-il vécu des anecdotes ? Modibo 10 revient sur un match de coupe du Mali où celui qui marque un but devait mourir. “Le Stade devrait jouer contre l’équipe locale de Kolokani, en éliminatoires de la coupe du Mali. Au même moment, l’AS Réal jouait à Nionsombougou. Arrivés dans la capitale du Bélédougou, on nous annonce que celui qui marquera un but va trépasser. Cette rumeur liée à la chimie noire a semé la panique au sein de l’équipe, à telle enseigne que les attaquants refusaient de marquer. Contre toute attente, le latéral droit du Stade, en voulant faire un mauvais centre, marque le but contre sa volonté. Il s’arrêta comme un robot. Il n’a pas manifesté et les autres joueurs commençaient déjà à faire son deuil. Personne ne l’a félicité jusqu’à ce que l’arbitre ordonne l’engagement du ballon. Le match continue et pourtant le buteur n’est pas mort. Mais ce premier acte a été le déclic et a libéré toute l’équipe. Le Stade s’imposa par 4 buts à 0 et personne n’a eu mal à la tête à plus forte raison mourir. C’est une façon pour moi de vous dire que la chimie noire en matière de football est purement psychologique. Rappelez-vous cette histoire de corbillard que les Réalistes devaient éviter avant d’arriver au Stade omnisports. Mais le seul fait de le croiser à Darsalam a démoralisé et déconcentré les joueurs. Le Réal a perdu le match à cause de ces considérations”. 

Malgré l’âge, Modibo est encore solide. Il continue à exercer son métier de mécanicien. D’ailleurs, il s’apprêtait à réparer une vieille moto Vespa, quand un de ses voisins lui annonça notre présence. Il a différé ce travail, le temps de nous écouter. Au moment où nous lui expliquions les tenants et les aboutissants de notre démarche, notre téléphone sonna. C’est Seydou Traoré dit Guatigui qui est au bout du fil. Ce n’était pas pour prendre nos nouvelles parce que depuis que nous l’avons quitté il n’y a pas eu de contact entre nous. Mais Guatigui expliquait autre chose. Il a tenu à dire que suite à notre article sur sa modeste personne, des donateurs anonymes ne cessent de lui envoyer de l’argent, pour lui manifester leur solidarité. Seydou Traoré en a profité pour saluer la belle initiative de la Direction du journal.

Pour notre part, une fois de plus, nous pensons avoir exercé notre métier et fait notre devoir. Modibo 10 a compris tout ce que nous nous sommes dits. Et c’est là où il a affirmé avoir cessé de rendre visite à son mentor. Parce que celui-ci n’arrêtait de pleurer à chaque fois qu’il allait chez lui. Mais devant nous, il a promis de repasser le voir lorsqu’ils ont échangé au téléphone. Après cette communication téléphonique, notre héros nous indiqua un coin sous son hangar où l’entretien s’est déroulé.

Sa vie est partagée entre son centre de formation, la mosquée et son lieu de travail. Il gagne sa pitance grâce à sa pension, le salaire du centre et ses recettes journalières. Il passe la plupart de son temps avec son ami inséparable, Kader Gueye (cette autre icône du football malien), qui le chahute à tout moment.  Entre les deux anciens joueurs une complicité s’est installée et l’ex joueur du Djoliba et des Aigles nous a dit que cette amitié date depuis le moment où ils jouaient. Cela s’appelle amitié sincère.

O. Roger Sissoko

Par Aujourd’hui-Mali