Ce 19 novembre 2022, 54 ans se seront écoulés depuis qu’un quarteron de jeunes officiers subalternes (ils avaient une moyenne d’âge de 30 ans et étaient en majorité des lieutenants) a renversé le régime du président Modibo Keita. Lequel était alors cité comme une référence en matière de construction nationale dans une Afrique en quête d’émancipation et respecté pour ses actions courageuses en faveur de la décolonisation totale et de l’unité du continent ainsi que ses engagements contre toutes formes d’hégémonie à l’échelle planétaire.

S’ensuivra, sous la férule du lieutenant Moussa Traoré, qui ne tardera pas à se retrouver général de corps d’armée pour faire bonne mesure avec son titre de chef d’Etat, une dictature militaire qui se muera en dictature militaro-civile sur une période cumulée de 22 ans et quatre mois. Elle sera caractérisée par la confiscation des libertés individuelles et collectives, la répression barbare, souvent sanglante de toutes les velléités de contestation, qu’elles soient politiques ou syndicales, la détresse économique et sociale liée à la dilapidation de l’important patrimoine constitué par les Sociétés et Entreprises d’Etat (SEE) héritées du régime précédent, la paupérisation galopante dans les villes et les campagnes et la résignation chez un peuple contraint à s’accommoder du manque endémique ou à s’exiler vers d’autres cieux. Un grand nombre de nos compatriotes privilégieront cette dernière option, en prenant le risque de s’exposer au mépris et à l’humiliation dans leurs pays d’accueil.

Mais c’est le coup d’Etat militaire en soi qui représentera le plus grand mal dont le pays n’a pas fini de se remettre. Il ouvrira la voie à quatre autres: ceux de Mars 1991 avec le Lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré (ATT); de Mars 2012 avec le Capitaine Amadou Haya Sanogo, d’Août 2020 avec » les cinq colonels » qui remettront ça en mai 2021, à la faveur d’un remaniement ministériel mettant certains d’entre eux sur la touche. Sans compter les tentatives avortées, les complots d’assassinats déjoués et les règlements de comptes. Assurément le Mali possède la triste réputation de figurer au nombre des pays africains où le régime militaire est devenu la norme et celui démocratique l’exception, où l’alternance se pratique par le fusil et non le bulletin de vote, où le principe républicain du primat du civil sur le militaire a fait place au primat du militaire sur le civil. Aux Assises nationales de la refondation de l’Etat tenues fin 2021, l’on a entendu certains intervenants plaider pour le maintien d’une transition à dominante militaire pendant 20 ans. C’est dire à quel point la gouvernance kakie a conquis le cœur de certains Maliens.

Et pourtant. L’expérience a montré à satiété que les militaires au Mali ne sont pas plus aptes à administrer l’Etat, à préserver l’intérêt public, à assurer l’ordre et la sécurité (leur vocation principale) à veiller au bien-être de la population que les civils. Le président Modibo Keita a été un grand bâtisseur de la République et son prestige reste inégalé 54 ans après sa chute et 45 ans après sa disparition tragique. Le président ATT, son lointain successeur, a laissé derrière lui la double image jusqu’ici intacte de » soldat démocrate » et de « soldat bâtisseur « . Il faut donc se garder de la dichotomie consistant à ne voir que le bien chez les militaires et le mal chez les civils. Les uns et les autres font le Mali et c’est ensemble, mus par un même élan patriotique, qu’ils doivent œuvrer pour bâtir un Etat répondant aux aspirations des populations à la paix, à la liberté, à la sécurité, à la stabilité et au bien-être matériel et moral. Il est grand temps, en effet, que le Mali sorte de l’agitation permanente et du désordre sur fond de violence en tous genres pour s’atteler à son développement . A l’instar de certains pays voisins.

Saouti HAIDARA

Source: l’Indépendant